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Le nucléaire national va de plus en plus mal, le danger qui nous menace s’accroît

Pierre Péguin, septembre 2019

Les mauvaises nouvelles de l’industrie nucléaire s’accumulent et nous ne pouvons que nous en réjouir, nous qui en annonçons depuis longtemps la faillite inexorable, les dégâts avérés sur la santé des populations et des travailleurs, et qui en revendiquons l’arrêt au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard pour une catastrophe. Mais les conséquences et les dangers liés à la gestion irresponsable du nucléaire sont de plus en plus graves.

Signe des temps, des grands médias jusque là discrets sur les difficultés du complexe électro nucléaire s’ouvrent maintenant à ses déboires qui s’ajoutent les uns aux autre : Fiasco de l’EPR de Flamanvile et de celui de Finlande qui déconsidèrent définitivement les « fleurons de notre industrie », malfaçons frauduleuses des pièces élaborées par Framatome au Creusot, quasi faillite d’EDF et d’Areva engagés dans des programmes insensés, mais sauvés par l’État à coup de milliards et de restructurations (Areva/Orano, casse d’EDF en préparation).

Ajoutons les surcoûts et retards considérables des équipements en construction à Cadarache qui sont peu médiatisés: C’est d’abord le cas d’ITER, gigantesque machine destinée à essayer de rendre crédible la fusion nucléaire (1). On pense qu’il ne sera qu’un échec de plus, après avoir englouti des sommes considérables, et provoqué tant de dégâts écologiques. Et c’est aussi le cas du réacteur Jules Horowitz (2) annoncé pour un coût d’un demi milliard, et qui en est maintenant à 4 fois plus…..

Mais la nouvelle la plus surprenante reste celle de l’abandon du projet de réacteur de 4ème génération, Astrid (3), dit « réacteur à neutrons rapides » ou « RNR ». Sa réalisation préparée par le CEA (4) était prévue à Marcoule, et près d’un milliard d’€ lui ont déjà été consacrés. Astrid s’inscrivait dans la filière des « surgénérateurs » dont on connaît les déboires, Phenix à Marcoule et Superphenix à Morestel.

Cette filière est conçue pour fonctionner avec l’uranium dit « appauvri » dont on accumule des stocks (5), et avec le plutonium, matériau de la plus haute dangerosité, extrait à la Hague (6). Sa technologie est encore plus pointue et dangereuse que celle des réacteurs actuels à eau pressurisée (7). La dangerosité est d’autant plus grande que c’est le sodium liquide qui en assure le refroidissement, alors que celui-ci brûle au contact de l’air et explose au contact de l’eau. L’abandon du projet Astrid, après l’arrêt définitif du réacteur Monju au Japon, signe la fin (provisoire?) de cette filière, c’est une excellente nouvelle pour la sécurité des populations !

Cet abandon est tout de même surprenant : En effet c’est depuis une soixantaine d’années, que le CEA travaille sur deux filières « du futur » destinées à maintenir la France au top de la technologie : La fusion nucléaire dont ITER est l’énorme avatar, et la surgénération promise à illustrer « le nucléaire durable » dont Astrid devait être le prototype, et démontrer l’excellence d’un système fonctionnant sur lui même pour produire de l’énergie à profusion.

On ne croirait donc plus en haut lieu à ce rêve de l’électricité abondante et pas chère ? Il y aurait-il perte d’influence du CEA et de ses cadres issus du Corps des Mines, face à un chef de gouvernement énarque et à EDF aux mains du Corps des Ponts? La nucléocratie en serait-elle réduite à prendre en compte la réalité économique d’une technologie devenant de plus en plus onéreuse et non compétitive face aux renouvelables dans le marché européen de l’énergie électrique (8)?

Ce qui est moins surprenant est le projet de casser EDF pour séparer les activités rentables, telles que les renouvelables dont le très rentable hydraulique, activités privatisables, de celle justement qui ne l’est pas, le nucléaire, qui nécessite des apports financiers tellement importants que seul l’État peut les couvrir et en assurer le fonctionnement. Une fois de plus nos gouvernements au service du libéralisme s’illustrent dans la privatisation de secteurs publics lucratifs (cf les autoroutes) pour ne garder que ceux qui ont besoin d’être refinancés.

Au delà de la ponction sur les impôts, les tarifs d’électricité sont appelés à augmenter sensiblement. Il y aura dans l’avenir à assurer les coûts faramineux du démantèlement des réacteurs et des usines atomiques, et celui de la gestion des déchets radioactifs pour bien longtemps. De plus aucune société d’assurance ne peut prendre en charge le risque atomique, cela ne peut rester qu’à la charge de l’État…. N’est-ce pas la démonstration de ce que le nucléaire est la plus mauvaise, la plus chère, et la plus dangereuse façon de faire bouillir l’eau nécessaire aux alternateurs produisant l’électricité ?

Mais ne chantons pas victoire trop vite, le nucléaire militaire ne baisse pas la garde et au contraire se modernise dans le cadre de la programmation militaire pluriannuelle, tandis que les menaces internationales de conflit sont de retour, Trump ayant rallumé la mèche (9).

Et surtout nous sommes entrés dans une phase de dangers accrus pour notre sécurité. Le fonctionnement de nos équipements était déjà inquiétant, et nous avions eu la chance d’échapper jusque là à la catastrophe, mais la déliquescence actuelle du nucléaire en accroît fortement les dangers.

En quoi l’industrie nucléaire devient-elle de plus en plus dangereuse ?

Chacun sait qu’elle l’est déjà. La dispersion planétaire de multiples radioéléments par vents et eaux contribue à l’épidémie de cancers et de maladies graves qui sévit depuis quelques dizaines d’années. Ces contaminants radioactifs issus des nombreuses bombes atomiques explosées (plus de 2000), et des catastrophes et multiples difficultés de fonctionnement des réacteurs et usines nucléaires, ont touché l’ADN de tout le vivant et dont les altérations sont transmissibles.

Pour illustrer les effets de la contamination généralisée de notre environnement, un cabinet d’étude le CERI (10) a évalué, à la demande de députés écologiques européens, la mortalité liée au nucléaire depuis son origine à 61 millions de victimes, et c’était en 2003. Combien aujourd’hui car l’épidémie perdure plus que jamais.

Mais de nos jours nous avons de plus en plus à craindre une catastrophe atomique en France qui bouleverserait complètement nos vies, comme cela se passe en Biélorussie et au Japon suite à Tchernobyl et Fukushima (11). Nous avons déjà frôlé ce processus, par exemple au Blayais en 99, et avons eu la chance d’y échapper, mais jusqu’à quand ?

Les budgets consacrés à l’entretien se restreignent, les temps d’arrêts imposés aux sous-traitants pour leurs interventions dans les réacteurs se retrécissent et obligent en quelque sorte à bâcler le travail. Les travaux sont confiés aux entreprises les « moins dis-antes », voire les moins compétentes, et les moins regardantes sur les doses reçues par leurs personnels intérimaires dont le suivi médical n’est pas assuré. Quant aux agents d’EDF qui perdent en compétence et en fierté de leur travail, ne sont-ils pas menacés par le découragement et risquent-ils de manquer de vigilance ? Tout cela avec des équipements vieillissants dont une partie des éléments ont été élaborés au Creusot sans respect des normes de qualité.

Dialogue imaginaire pour répondre à un pro nucléaire, même si on n’y connaît rien mais qu’on en a compris le danger:

– Le pro-nuc : Mais on ne peut pas se passer du nucléaire,

– Et bien retournons à la caverne et à la bougie comme tous les autres pays européens voisins qui, à part la Belgique, en sont tous sortis ou finissent d’en sortir comme l’Allemagne,

– Oui, mais il va falloir brûler plus de fossiles pour compenser, bonjour l’effet de serre !

Si peu, le climat n’est qu’un prétexte (13). le nucléaire ne fournit dans le monde que 10 % de l’électricité, soit 2 % de l’énergie totale consommée, l’augmentation de 2 % de consommation d’énergie fossile peut facilement être compensée par des mesures de sobriété et par le développement des renouvelables. C’est vrai qu’en France l’État nous a mis dans une situation critique unique au monde, le nucléaire produisant près des 3/4 de l’électricité. Mais ces 3/4 d’électricité ne sont finalement que 11 % de

l’énergie totale consommée. Nous gaspillons tant d’énergie qu’il ne serait pas difficile de l’économiser autant et ainsi faire reculer le risque de catastrophe.

Peut-être, mais en tout cas cette conversion prendra du temps, ce que tu racontes n’est pas pour demain !

Bon alors prenons l’exemple d’un immeuble dont on s’aperçoit qu’il menace de s’éffondrer, comme à Marseille, doit-on attendre plusieurs années de construire de nouveaux logements bien étudiés pour évacuer ? Non bien sûr, on évacue immédiatement.

Ne sommes-nous pas dans la même situation avec le risque de catastrophe qui peut survenir dès demain ? Donc je revendique d’arrêter immédiatement.

Et à part la bougie et la caverne dont tu parlais, comment ferons-nous en France pour assurer nos besoins légitimes et le fonctionnement de la société, des hôpitaux?

Mais on sait maintenant que les capacités de production européennes d’électricité sont excédentaires, elles peuvent couvrir provisoirement nos besoins en attendant qu’une vraie politique de sobriété et de développement des renouvelables nous rendent autonomes. On en bénéficie déjà pour assurer nos pointes de consommation, ce sont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et autres qui soutiennent notre réseau électrique, car là encore seule la France a des pointes aussi importantes tant est grand le gaspillage de consommation électrique.

Que ce dialogue possible ne nous fasse pas oublier que

– de toutes façons on ne sortira jamais du nucléaire car il faudra en assurer le démantèlement pendant des dizaines d’années, et en gérer les déchets pendant des millénaires !

– Et même après son arrêt les risques perdurent dans la gestion des déchets, et du démantèlement. En particulier les piscines de refroidissement des combustibles usés sont très fragiles face à des séismes ou des attaques, la destruction de l’une d’entre elles aurait des conséquences terribles.

– Enfin le militaire qui nous maintient au bord de cataclysmes (9) par l’existence d’armes atomiques pouvant tout détruire.

Cela montre bien que l’existence même du nucléaire est absurde, insensée ! Vouloir en faire un outil pour contenir le bouleversement climatique est un bluff (12) que nous avons à dénoncer.

Revendiquons l’arrêt du nucléaire dans notre pays le plus nucléarisé du monde par habitant, et dont la gestion de nos équipements vieillissants en aggrave dangereusement les risques. La surcapacité de production électrique européenne et l’interconnexion des réseaux rend cet arrêt possible (13).

(1) ITER, https://apag2.wordpress.com/2018/08/02/iter-tritium-danger-%e2%80%a8larnaque- mortifere-du-lobby-du-nucleaire/

(2) Réacteur Jules Horowitz, destiné à des études de matériaux devant résister aux conditions de fonctionnement des réacteurs, et à l’élaboration de radioélèments commandés par certains secteurs tels que la médecine, Cadarache.

(3) ASTRID, https://www.youtube.com/watch?v=KLbjyYfsgSA, https://apag2.wordpress.com/2018/02/08/astrid-le-cea-en-di culte/

(4) CEA, Commissariat à l’Energie Atomique dont les cadres pour l’essentiel sont issus d’X corps des Mines, tandis qu’EDF est plutôt aux mains du corps des Ponts

(5) Uranium appauvri. C’est dans l’usine d’enrichissement duTricastin qu’est préparé l’uranium « enrichi » en isotope ssible U235 destiné à être utilisé dans les réacteurs, cet enrichissement entraine la production d’uranium dit « appauvri » en U235 en grande quantité (7 fois plus).

Les stocks s’accumulent inutilisés sauf par l’armement militaire! http://coordination- antinucleaire-sudest.net/2012/index.php?post/2018/02/02/A-propos-de-l-uranium-dit-appauvri,

(6) Plutonium. C’est dans l’usine de retraitement de la Hague, haut lieu d’intense pollution radioactive, qu’est extrait le plutonium du combustible usé des réacteurs en fonctionnement. Le plutonium n’existe pratiquement pas à l’état naturel, c’est la pire substance jamais élaborée par les humains par son extrème radio- et chimico- toxicité, et par sa très longue durée de vie (période d’un peu pkus de 24,000 ans).

(7) PWR, les réacteurs en fonctionnement en France, réacteurs à eau sous pression, ont été construits sous licence Westinghouse. Signe des temps, l’entreprise Westinghouse a fait récemment faillite.

(8) « Le nucléaire trop lourd et coûteux pour sauver le climat », selon un rapport de l’agence Reuters du 24 sept 2019, et bien d’autres articles.

(9 ) « Le monde au bord de la crise nucléaire » par Jacques Hubert-Rodier un article des Echos Publié le 20/09/19

« L’abandon des grands traités de réduction et d’élimination des armes nucléaires conclus entre la Russie et les Etats-Unis fait peser une grave menace sur le monde. Le monde se rapproche dangereusement d’une situation de crise nucléaire, comme ce fut le cas à Cuba dans les années 1960 ou en Europe avec l’installation de missiles soviétiques SS-20 et de Pershing américains. »

(10) CERI, Comité Européen sur le Risque de l’Irradiation, recommandations 2003. * ( 11) Ethos– https://apag2.wordpress.com/2016/11/21/vivre-dans-le-jardin-nucleaire-avec-

ethos-un-crime-contre-lhumanite, (12) Blu s et mythes du nucléaire. Le prétexte du climat

Jean-Luc Pasquinet, Edition Libre et solidaire, date de parution : 17 octobre 2019. (13) L’Arrêt immédiat du nucléaire est techniquement

possible à l’échelle européenne par Élisabeth Brenière et François Vallet Arrêt du Nucléaire (ADN) http://collectif-adn.fr/2019/Arret_immediat_Europe.pdf,

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Mises en garde de l’ASN concernant l’enfouissement des déchets radioactifs et la fusion des cœurs de réacteurs

Hugues Henri

Source : Academia

https://www.academia.edu/35742843/CHRONIQUES_ANTI-NUCLEAIRES_MISES_EN_GARDE_DE_LASN_CONTRE_LENFOUISSEMENT_DES_DECHETS_RADIOACTIFS_ET_LA_FUSION_DES_COEURS_DE_REACTEURS

 

Dans un avis daté du 8 janvier et publié le 9 février (2015) sur son site Internet, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) recommande que les recherches “soient approfondies” dans les domaines du conditionnement des déchets nucléaires, de l’enfouissement en profondeur des déchets, du transport de substances radioactives et des accidents nucléaires graves. Ce document signé de la direction collégiale de l’ASN met en évidence des carences dans la gestion des déchets radioactifs, révèle des incertitudes sur la viabilité du projet Cigéo * d’enfouissement des déchets nucléaires les plus dangereux dans l’Est de la France et souligne la fragilité des réacteurs nucléaires face à un accident grave.

La gestion désordonnée des déchets nucléaires

L’ASN rappelle qu’il existe une grande variété de déchets radioactifs parmi lesquels certains sont mal répertoriés, dont on ignore le contenu radioactif et chimique et pour lesquels il n’existe pas encore d’emballage disponible. Un problème aigu qui concerne certains déchets produits par le passé. Entre 1966 et 1998, des déchets de l’usine de La Hague (Cotentin) d’Areva * ont été stockés en vrac dans sept installations nucléaires. Ces déchets mal connus doivent maintenant être repris et conditionnés. L’ASN estime que les déchets radioactifs “destinés à être stockés dans une installation de stockage encore à l’étude doivent faire l’objet de recherches sur leur comportement en stockage”. L’Autorité considère aussi que l’on en sait peu sur “le comportement à long terme des colis de déchets en conditions de stockage”, ainsi que sur “le comportement à long terme en stockage de matières radioactives qui ne sont pas aujourd’hui considérées comme des déchets”, comme les combustibles au plutonium (MOX).

Par ailleurs, l’Autorité souligne un manque de compréhension sur “le comportement des déchets de boues bitumées”, des déchets inflammables. Elle note aussi que les connaissances doivent progresser sur la production d’hydrogène – un gaz inflammable et explosif, au sein des “colis” de déchets nucléaires (et particulièrement les déchets contenant du bitume). Or le projet Cigéo * prévoit l’enfouissement à 500 mètres sous terre de dizaines de milliers de fûts de déchets radioactifs bitumineux qui présentent des risques d’incendie et d’explosion.

L’enfouissement des déchets nucléaires en question

L’ASN porte un regard sévère sur l’enfouissement des déchets nucléaires en profondeur, jugeant qu’il faut “mieux appréhender les différentes composantes de la sûreté à long terme du stockage”. Elle constate des zones d’ombre autour des “phénomènes physico-chimiques, biologiques, mécaniques et thermiques au sein d’un stockage” et demande le développement de travaux “en vue de la gestion réversible d’un stockage”. L’ASN s’interroge également sur “la transmission des compétences, des savoirs et de la mémoire sur des échelles de temps appropriées”. Beaucoup d’inconnues persistent donc sur les risques liés à l’enfouissement des déchets les plus radioactifs, que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra)* voudrait démarrer dans dix ans, en 2025.

Fusion des cœurs de réacteurs : l’ASN confirme la vulnérabilité des réacteurs en service

En ce qui concerne les accidents nucléaires graves sur les réacteurs existants et futurs, l’ASN affirme que les données recueillies à ce jour “présentent encore de grandes incertitudes quant à la capacité à prévenir la fusion du cœur”. Des interrogations qui s’étendent à la capacité de la cuve à résister au combustible en fusion, à la tenue de l’enceinte de confinement, ainsi qu’à l’efficacité de la filtration des rejets radioactifs dans l’environnement en cas d’accident grave. L’Autorité rejoint les conclusions de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)* sur la vulnérabilité des réacteurs lors d’un accident de fusion, auxquelles le Journal de l’énergie a récemment consacré un article.

Commentaires

La situation n’évolue guère en France en ce qui concerne les réponses urgentes à rechercher et à mettre en œuvre pour les deux problèmes principaux posés par le tout nucléaire : La question primordiale du retraitement des déchets hautement radioactifs à vie longue, vis-à-vis de laquelle, la pseudo solution de l’enfouissement profond se révèle inappropriée et dangereuse y compris selon l’ASN qui prend enfin position en énonçant clairement les limites et les dangers de cet enfouissement. C’est avec circonspection et de manière nuancée que cet avis a été rendu mais sur le fond, la cause est enfin entendue, l’ASN recommande sinon l’abandon du projet de l’ANDRA, tout du moins de prendre au préalable toutes les précautions pour permettre un retour en arrière et la gestion réversible du stockage, c’est-à-dire que si cette gestion de l’enfouissement se révélait problématique pour ne pas dire désastreuse, il sera impératif de stopper net l’enfouissement et de procéder à une autre forme de retraitement ou de stockage, selon la forme et la nécessité impérative que cela prendrait.

L’autre question qu’il faut traiter impérativement, c’est la question du risque de fusion du cœur de réacteur nucléaire en cas d’arrêt de refroidissement, qui pourrait survenir dans nombre de réacteurs anciens même après le « grand carénage » promis par EDF* pour remettre les centrales françaises de plus de trente ans d’âge aux normes post-Fukushima. L’IRSN a produit un rapport démontrant que ce risque d’accident majeur existait, qu’il y avait une forte probabilité qu’il advienne à une échéance imprévisible. Là encore, l’ASN ne fait que confirmer ce que l’IRSN a déjà affirmé et cela corrobore cet état de fait dénoncé par Greenpeace et Réseau Sortir du Nucléaire: en France, l’Etat a choisi d’ignorer ce risque majeur d’une catastrophe nucléaire avec fusion du cœur du réacteur, comme cela s’est déjà produit à Three Miles Island aux USA en 1978, à Saint Laurent des Eaux en 1980, à Fukushima en 2011. Les cuves en ciment et celles en acier des réacteurs des vieilles centrales françaises à eau pressurisée ont dépassé leur durée de vie de 30 ans garantie par leur concepteur, l’américain Westinghouse. Elles ont été bombardées par des isotopes hautement radioactifs qui ont ébranlé leurs structures moléculaires, provoquant d’innombrables microfissures dans le béton et dans l’acier. On ne peut pas changer cela, c’est impossible, il faut arrêter ces réacteurs et les démanteler, puis réhabiliter les sites. C’est à cela que se sont attelés les autorités et les industriels allemands de l’énergie. Très récemment, le gouvernement allemand par la voix de sa ministre sociale démocrate de l’énergie a demandé fermement à Ségolène Royal de définir au nom du gouvernement français les dates et modalités d’arrêt et de démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim dans le Bas Rhin, conformément aux engagements de François Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012. Cette démarche sera certainement perçue par certains milieux franchouillards et chauvins comme une sorte d’incongruité malvenue et même comme une ingérence inqualifiable de la part d’un membre d’un gouvernement étranger, qui lui s’est engagé résolument dans la sortie du nucléaire. Il n’empêche que cette démarche démontrait aussi l’inquiétude des populations allemandes frontalières avec l’Alsace envers cette centrale nucléaire dont tous les voyants sont au rouge en tant que doyenne de toutes les autres centrales françaises. Il semble qu’il ne soit pas certain que malgré les engagements verbaux de ce gouvernement, Fessenheim soit bientôt arrêtée et démantelée, car Ségolène Royal s’est défaussée sur EDF pour la prise de décision qui aurait du lui revenir. Il faut que cela soit désormais tranché, quand Fessenheim sera-t-elle arrêtée et démantelée ? Quoi qu’il en soit, si un évènement tragique devait advenir dans l’une de ces centrales qui comme Fessenheim ont atteint leurs limites d’âge et de fiabilité, surtout s’il advenait un accident grave du type de la fusion d’un cœur de réacteur, ce gouvernement comme ceux qui l’ont précédé depuis 1975, date de la mise en route du “Tout nucléaire” en France métropolitaine devra en assumer toutes les conséquences. Il ne pourra, tout comme ses prédécesseurs pas échapper à sa mise en cause pour sa non prise en compte des risques majeurs générés par la perpétuation du tout nucléaire dans ce pays, ni pour celle d’avoir ignoré les mises en garde de l’IRSN et de l’ASN. Il est révélateur que les plans d’urgence pour parer à ce genre d’éventualités soit souvent dérisoires, les projections d’évacuation des populations riveraines des centrales ne concernent que des périmètres de dix kilomètres de diamètre, alors qu’ils furent étendus à plus de trente kilomètres pour Tchernobyl et Fukushima ; les stocks d’iode à distribuer en cas d’irradiation ne sont pas constitués dans les sites concernés ; les unités spécialisées dans l’intervention en milieu irradié n’existent pas encore et tout est à l’avenant. Nous sommes le pays qui détient le triste record d’avoir la plus grande densité de réacteurs nucléaires situés pour la plupart dans un rayon de moins de cent kilomètres des plus grandes agglomérations françaises et nous voyons se maintenir une situation d’enlisement dans le tout nucléaire, la part des énergies renouvelables et des “négawatts” restant inférieure dans notre pays à celle développée dans la plupart de nos voisins européens. Il ne suffit pas de proclamer une volonté toute formelle de réduire la part du nucléaire à 50% d’ici à 2025. Cette promesse n’a rien d’une certitude gravée dans le marbre quand l’on entend les atermoiements sur la question du nucléaire chez Ségolène Royal. Le dernier en date porte sur le remplacement des vieilles centrales par des nouvelles, or quand on voit les déboires de l’EPR aussi bien en Finlande qu’à Flamanville, il saute aux yeux qu’il y a un gros problème de maîtrise dans la construction de ces nouvelles centrales : maîtrise des coûts, maîtrise des délais, maîtrise des technologies. Pourquoi s’acharner encore et encore dans cette impasse en y consacrant autant d’argent, de moyens alors qu’il est évident que le nucléaire régresse chez tous nos voisins ? Tirons les bonnes conclusions au plus tôt, avant qu’il ne soit trop tard, qu’un Fukushima français arrive et irradie un ou plusieurs départements …

 

(*)

CIGEO : Centre industriel de stockage géologique.

AREVA : Ancien nom d’OURANO, spécialiste français du nucléaire.

ANDRA : Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

IRSN : Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire.

EDF : Electricité de France.

 

 

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