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Nucléaire, radioactivité, et santé

par Annie et Pierre Péguin 

décembre 2023 

Le nucléaire est présenté comme une énergie pouvant pallier les hydrocarbures dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est vite oublier les dégâts sur la santé que cette technologie engendre que ce soit dans ses utilisations militaires ou civiles.


Historique

Dès le début de la découverte des rayons x et du radium, les scientifiques sont confrontés au danger : spasmes, pertes de cheveux, graves brûlures et tumeurs. Mais l’énergie qui peut en être tirée et les applications médicales sont étonnantes. En même temps on évoque les propriétés mutagènes et teratogènes des radiations : le Pr Muller les étudie dés 1925 (Il sera reconnu par un prix Nobel en 1946). En 36, à Hambourg on rend hommage à 169 médecins et techniciens morts de « nécrose de tissu ». 

Puis c’est la guerre, le projet Manhattan pour la mise au point de la bombe atomique. L’aménagement d’une région entière consacrée à sa fabrication, en particulier autour de Los Alamos, les scientifiques relèvent déjà l’extrême dangerosité du plutonium, on en injecte même à des cobayes humains. 
Les victimes des bombes d’Hiroshima et Nagasaki, en particulier celles qui agonisent petit à petit sont soigneusement observées par les spécialistes américains.

Les résultats de toutes ces expérimentations ont été censurés, couverts par le secret-défense, il fallait taire les effets à long terme de la radioactivité et éviter que les US soient menacés d’être responsables de crime contre l’humanité. 

Ainsi ces précieuses connaissances ont été perdues pour la protection des travailleurs et des victimes du nucléaire. Les quelques chercheurs qui ont essayé de creuser la question ont été ostracisés ; ceux restant sous la coupe des militaires et du gouvernement sont financés pour justifier l’existence d’une « dose tolérable ».
De plus, n’est pris en compte que l’irradiation externe, pas du tout la contamination interne de l’organisme. Il sera même prétendu que les problèmes de santé induits par la radioactivité sont provoqués par des fantasmes irrationnels pathologiques. 
Au moment de Tchernobyl les experts français vont abuser de cet argument, de même après la catastrophe de Fukushima, la « nucléophobie » est la seule responsable ! Quant aux observations des médecins de terrain elles seront négligées par les structures internationales de sécurité du nucléaire. 

Des événements vont nourrir le doute

– L’Organisation mondiale de la Santé a déclaré en 1957 que « tout rayonnement artificiel doit être considéré comme nocif pour l’homme du point de vue génétique » et que « le bien-être des descendants de la génération actuelle est menacé par l’évolution de l’utilisation de l’énergie nucléaire et des sources de rayonnements ». Aucune preuve scientifique n’est apparue depuis pour contredire cette position. Au contraire, des études ultérieures indiquent que les dangers ont été sous-estimés. Un demi-siècle plus tard, la Terre baigne dans la contamination radioactive. Les activités nucléaires, industrielles et militaires, ont endommagé pour des dizaines de milliers d’années et, irrévocablement, le patrimoine génétique de tout le vivant.

– Dès 1958, Alice Stewart porte à la connaissance de la communauté scientifique le fait que de très faibles doses de rayonnements ionisants sont cancérigènes pour le fœtus pendant la grossesse.

– L’accident atomique de Three MILE Island (1979) vasonner le glas du développementde l’énergie nucléaire pacifique aux EU. 

– D’après la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) en 1990
Il n’y a pas de seuil de dose en dessous duquel il n’y a aucun effet. Toute dose de rayonnement comporte un risque cancérigène et génétique. La probabilité d’apparition d’un cancer radio-induit mortel est directement proportionnelle à la dose reçue. 
La CIPR préconise une limite de dose annuelle de 1 mSv/an pour le public, ce qui n’implique pas qu’en dessous les rayonnements soient inoffensifs. La France s’y est conformée tardivement et prévoit de la porter à 20mSv en cas de catastrophe atomique, soit la même valeur que celle autorisée pour les travailleurs du nucléaire.

– Les travaux de Youri Bandazhevsky et Vassili Nesterenko sur la santé des enfants contaminés en Biélorussie (fondation de l’institut Belrad) qui ne sont pas reconnus par les instances internationales. Celles-ci n’admettent que 32 décès directs et 2000 cancers de la thyroïde. La France joue un rôle important pour que soit niée les dégâts de la catastrophe avec le projet Ethos.
Mais une publication de l’Académie des sciences de N.Y. en 2010 fondée sur des travaux scientifiques russes, biélorusses et ukrainiens annonce que Tchernobyl a fait un million de victimes et en fera d’autres puisque les atteinte s génétiques se transmettent. 
Chernobyl: Consequences of the catastrophe for people and the environment.Annals of the NYAS, Vol 1181, Wiley, New York, February 2010.

Les vétérans militaires US ayant subi les retombées des essais nucléaires ainsi que ceux ayant utilisé des armes à tête d’uranium (en Irak par exemple) demandent à être reconnus comme victimes du nucléaire..

Le CERI. Autour des années 2000 la création par le Parlement européen d’un groupe de scientifique le CERI chargé d’étudier les conséquences de la radioactivité en tenant compte de la sensibilité des différents organes et de l’immunité, des effets de la contamination interne (par l’alimentation et la respiration), y compris sous faibles doses, contrairement aux évaluations officielles antérieures qui ne prenaient en compte que l’irradiation directe supérieure aux seuils fixés. 
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/millions.html,
D’après le CERI, dès 2003, le nucléaire est responsable de 61,6 millions de morts par cancers depuis 1945, contre 1,1 million selon les sources officielles, le nombre de cancers est pour sa part évalué à 123 millions contre 2,3 et l’étude estime en outre que les radiations ont induit une importante mortalité infantile et foetale (3,4 millions). 

– Les Actes du forum 2014 Scientifique et citoyen sur les effets génétiques des Rayonnements ionisants organisé par le Collectif Independent WHO « Santé et nucléaire » sont publiés.
http://independentwho.org/fr/2015/11/05/actes-forum-2014/

Quelques compléments : 
Lire entre autres :  Kate Brown,  Tchernobyl par la preuve – vivre avec le désastre et après , Actes Sud, 2021. 
– Thiery Gadault et Hugues Demeude,  Nucléaire danger immédiat et Et ça se passera près de chez vous, Flammarion, 2018. 
– Yves Lenoir, La Comédie atomique. L’histoire occultée des dangers des radiations. Editions La Découverte, 2016. 
– Jean-Marc Royer, Le monde comme projet Manhattan, Le Passager Clandestin, 2017. 
De faibles radiations induisent des cancers d’après l’OMS
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/11/06/24290-faibles-radiations-induisent-cancersUne étude de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) sur plus de 300.000 travailleurs de l’industrie nucléaire démontre l’effet néfaste des rayonnements, même à des doses très réduites.Le nucléaire tue… même à faible dose. C’est la conclusion de cette étude scientifique effectuée par des chercheurs espagnols, britanniques, américains et français, dont ceux de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), et coordonnée par le Centre international de recherche sur le cancer à Lyon (CIRC). Travaux publiés par le British Medical Journal (2015).
https://www.bmj.com/content/bmj/351/bmj.h5359.full.pdf
«Notre étude démontre qu’il n’y a pas de seuil minimum en dessous duquel l’exposition aux rayonnements ionisants serait inoffensive», assure le Dr Isabelle Thierry-Chef, du Circ. Plus grave, «même pour des doses comparables à la radioactivité naturelle » complète Ausrele Kesminiene, directrice de recherche au CIRC et coordonnatrice de l’étude. 
L’ampleur de cette étude est sans précédent. Elle porte sur 308.297 travailleurs du nucléaire aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne, entre 1943 et 2005, dont ceux qui ont travaillé dans l’Hexagone pour Areva, EDF et l’IRSN. 

Les mêmes scientifiques avaient effectué une étude épidémiologique sur les risques de leucémie sur la même cohorte de travailleurs du nucléaire, publiée en juillet 2015 par le Lancet Haematology . Ils arrivaient à la même conclusion sur les faibles doses et l’accroissement du risque de décès par leucémie pour les travailleurs du nucléaire. 
«La durée d’apparition et la sensibilité des organes sont différentes. On considère dans les analyses qu’une leucémie peut apparaître deux ans après l’exposition aux rayonnements, et un cancer peut se déclarer dix ans après

Incidence de la radioactivité aux alentours descentrales nucléaires. 
D’après le médecin Michel Fernex,
 il existe une augmentation statistiquement démontrée du nombre de leucémies aiguëes chez les enfants de moins de 5 ans dans un rayon de 5 km autour des centrales nucléaires en fonctionnement normal. Celles-ci sont autorisées à rejeter dans l’air et dans l’eau des particules radioactives qui contaminent durablement la région. 
Suite aux observations recueillies autour de la centrale atomique de Krümmel en Allemagne, et à une pétition avec 10’000 signatures de citoyens inquiets, une étude épidémiologique de grande envergure a alors été initiée autour de 16 centrales atomiques allemandes. Cette étude, publiée en 2007, montre que ces centrales, situées dans des environnements très différents, s’accompagnent d’une augmentation statistiquement significative du nombre de leucémies chez le jeune enfant. 

Après la catastrophe de Tchernobyl 

Tchernobyl reste un désastre : la santé publique continue de se dégrader en Biélorussie victime d’une décision prise dans le secret pour éviter de fortes retombées sur les grandes villes et les industries stratégiques de l’URSS. Pour cela la pluie a été provoquée pour précipiter la radioactivité sur des zones biélorusses.
https://enfants-tchernobyl-belarus.org/etb/documintaire/35ans.html,
L’état général de la population ne cesse de se dégrader. La morbidité chiffrée par le nombre de maladies enregistrées par an et par mille habitants est passée de 300 à 1300. Ainsi toute la population de Biélorussie reste affectée par les séquelles sanitaires de l’accident. Plusieurs millions de personnes vivent dans un environnement dangereux où leur pauvreté (mais aussi leurs traditions culinaires) les pousse à aller chercher une partie non marginale de leur alimentation dans leur voisinage immédiat (lait de vache familiale, produits du potager, champignons, baies et gibier des forêts). 

La descendance de la génération des liquidateurs a été considérablement affectée par l’enrôlement des pères à Tchernobyl. On comptait six fois plus de malformations chez leurs enfants que dans la population générale. A cela il faut ajouter des mortalités péri et néonatale, https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/250413/tchernobyl-la-mort-des-enfants-en-prime.,
Conséquences génétiques des catastrophes
www.vivre-apres-fukushima.fr/gm-documents/LIVRE_Yablokov.pdf  
A.V.Yablokov V.B.Nesterenko A.V.Nesterenko Saint-Pétersbourg « NAOUKA » 2007, 
On sait qu’à la deuxième et à la troisième génération, chez les enfants de parents survivants irradiés par les bombes atomiques au Japon en 1945, la fréquence des maladies du système lymphatique est 10,5 fois plus élevée, celle des maladies du foie 10 fois et celle du système respiratoire 3,3 fois plus élevée que la moyenne. 

Quant aux descendants des liquidateurs de Tchernobyl ils sont victimes également des altérations chromosomiques qui leur ont été transmises, à l’origine de diverses maladies. 

Cancers de la Thyroïde
L’épidémie de cancers 
de la thyroïde en France , Annie Thébaud-Mony , 2016 Giscop.

Multiplication de ce cancerhttps://www.santepubliquefrance.fr › docs › evolution-de-l-incidence-du-cancer-de-la-thyroide-en-france-metropolitaine.-bilan-sur-25-ans
Le cancer de la thyroïde était relativement rare il y a 25-30 ans, mais le nombre de diagnostics a beaucoup augmenté. 

Les malades de la thyroïde veulent en finir avec l’omerta en France
par Sophie Chapellehttps://basta.media/Tchernobyl-les-malades-de-la-thyroide-veulent-en-finir-avec-l-omerta-en-France
Palpitations, agressivité, prise de poids, fatigue constante, problèmes de libido, dépression, fausse couche… De plus en plus de citoyens français se voient diagnostiquer, après un long parcours médical, un problème thyroïdien. L’Association française des malades de la thyroïde mène un long combat pour faire reconnaître le rôle de la catastrophe de Tchernobyl dans l’augmentation de ces pathologies. 

Info sur les cancers de Thyroïde d’enfants de Fukushima (en anglais)
https://www.sciencerepository.org/area-dose-response-of-prevalent-childhood-thyroid-cancers-after-the-fukushima-nuclear-power-plant-accident_COR-2019-6-116?f

Et que se passerait-il en cas de catastrophe atomique ? 
Rappelons les quatre principales mesures qui suivraient la catastrophe : 

•  L’armée aurait à évacuer rapidement un nombre très important d’habitants, engendrant des flux de population pouvant atteindre plusieurs millions, ce qui est matériellement compliqué et peut-être impossible pour des villes comme Paris, Lyon ou Bordeaux, 

• Relèvement des seuils de contamination admissibles en les multipliant par 20 pour réduire l’évacuation des populations et les laisser vivre dans des zones contaminées, ce qui revient à reporter, dans le temps l’impact sanitaire ainsi durablement augmenté. 

• Mise en zone interdite et/ou hors activité productive d’une partie importante d’un territoire, et ce, pendant des siècles, pour cause de contamination des sols, 

• Mise en place d’une organisation de contrôle autoritaire décrite notamment dans les arrêtés et décrets publiés depuis 2003 sur la gestion de l’accident nucléaire en France. 

Quant aux conséquences sanitaires, malgré leurs dilutions dans le temps, le secret qui les entoure a toujours permis de minorer le nombre officiel de victimes, elles seraient d’une ampleur sans précédent pour notre pays. Les décès plus ou moins rapides s’accompagnerait de maladies pour un grand nombre, et de malformations pour les descendants. 

Et pour finir : Chacun de nous peut observer la multiplication de cancers depuis quelques dizaines d’années, et le développement de maladies rares. Ces effets des changements de notre environnement ne sont pas seulement dus à la chimie (pesticides de synthèse, plastiques), ou aux pollutions et aux ondes, mais aussi à la contamination radioactive généralisée.
Mais spécificité française, tout est fait pour cacher les effets de la radioactivité afin d’éviter que la population ne remette en cause l’armement atomique et l’électronucléaire…



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Relance du Nucléaire en France ?

par Ivo Rens

décembre 2023

Le 10 février 2022, le Président Macron prononça un discours sur la politique énergétique de la France qui se voulait fondateur car il visait à repenser cette problématique et à relancer l’électronucléaire français alors que la plupart des États de l’Union européenne, à commencer par l’Allemagne, ont renoncé aux centrales nucléaires à la suite des accidents de Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011).

Ce n’est pas hasard que Macron choisit Belfort pour prononcer ce discours car cette ville et le territoire de Belfort sont le siège d’une activité clé dans la filière nucléaire, à savoir la construction des turbines Arabelle, qui avait été vendue en 2014 par la firme française Alstom à la firme étatsunienne General Electric, mais qui venait d’être rachetée à cette dernière par EDF. Malheureusement pour EDF, la survenue du conflit russo-ukrainien le 22 février 2022, ou plutôt celle du régime des sanctions internationales suscité par ce conflit a porté un coup à cette transaction, toujours en suspens compte tenu de la collaboration franco-russe dans la construction de centrales nucléaires en Égypte, en Hongrie et en Turquie.[1]

Citons le premier des deux passages centraux relatifs au nucléaire de ce discours :

“Je souhaite que six EPR2[2] soient construits et que nous lancions les études sur la construction de 8 EPR2 additionnels. Nous avancerons ainsi par pallier. Concrètement, nous allons engager dès les semaines à venir les chantiers préparatoires : finalisation des études de conception, saisine de la commission nationale du débat public, définition des lieux d’implantation des trois paires, montée en charge de la filière. Une large concertation du public aura lieu au second semestre 2022 sur l’énergie, puis des discussions parlementaires se tiendront en 2023 pour réviser la programmation pluriannuelle de l’énergie. Nous visons le début du chantier à l’horizon 2028, pour une mise en service du premier réacteur à l’horizon 2035. Ce délai de mise en œuvre justifie aussi la nécessité de prolonger nos réacteurs actuels et de développer les énergies renouvelables. Ce choix nous devons le faire aujourd’hui pour donner à EDF et à toute la filière la visibilité qui s’impose et là-aussi, pour tirer toutes les leçons du passé. Car quand des ruptures arrivent, quand la visibilité n’est plus là c’est à ce moment qu’il y a des ruptures de charge, c’est à ce moment qu’il y a des pertes de compétences, c’est à ce moment que nous prenons des risques. Par ce choix de la Nation au long cours nous nous donnons aussi les moyens de préserver nos compétences nos savoir-faire ; chez EDF bien sûr mais dans toute la filière, dans toute la filière pour garantir l’excellence qu’est la nôtre, dont nous avons en partie d’ailleurs dû rebâtir ces dernières années.”[3]

Pareille prospective paraît euphorique quand on connaît tant soit peu les déboires enregistrés par EDF avec l’EPR de Flamanville, dont la construction fut lancée au printemps 2007 et qui devait entrer en service en 2012. On nous promet actuellement qu’elle entrera en service en 2024. A l’origine, le chantier était devisé à 3,3 milliards d’euros. “Il devrait finalement durer au moins dix-sept ans, pour une facture désormais estimée à 19,1 milliards.”[4]

Et voici le second passage central du discours du Président Macron.

“À côté de ces EPR, un appel à projets sera soutenu à hauteur d’un milliard d’euros par France 2030 et sera lancé pour faire émerger des petits réacteurs modulaires mais aussi des réacteurs innovants permettant de fermer le cycle du combustible et de produire moins de déchets. Pour 500 millions d’euros, ce seront des projets portés par EDF NUWARD – qui était évoqué – tout à l’heure par le président d’EDF et il y aura aussi 500 millions d’euros pour des projets ouverts sur les réacteurs innovants que j’évoquais à l’instant.”[1]

Quand on connaît les incertitudes qui affectent les nombreux projets et les rares prototypes de ces petits réacteurs modulables, miser sur eux paraît tout aussi hasardeux que de miser sur les EPR.

Comment le mouvement antinucléaire française pourra-t-il convaincre les citoyens français, qui ont toujours été habilement court-circuités par Paris, d’avoir à s’opposer à ces deux mégaprojets jupitériens ?

Peut-être la solution viendra-t-elle de là où le mouvement antinucléaire ne l’attendait pas. En effet, il semble que les milieux financiers internationaux, sur lesquels compte le Président Macron, ne partagent guère la foi nucléaire de ce dernier et que les méga-investissements jupitériens requis par leur mise en œuvre ne soient pas près d’être rassemblés. C’est du moins la conclusion provisoire à laquelle parvient une spécialiste en la matière, Aurélie Barbaux dans son article “La relance du nucléaire dans le monde suspendue à la question du financement”.[2]

Mais il y a plus grave : depuis le 24 février 2022, et plus encore depuis le 7 octobre 2024, l’actualité internationale devrait inciter tout citoyen à méditer sur la vulnérabilité inhérente à l’industrie nucléaire dans un monde où sévit le terrorisme et où les conflits militaires se multiplient. Comment imaginer que, dans les années à venir, les jeunes rescapés du massacre en cours à Gaza ne seront pas tentés par le terrorisme ? 

[1] Article GEAST de Wikipedia. https://fr.wikipedia.org/wiki/GEAST

[2] Jusque tout récemment, EPR était l’acronyme de European Pressurized Reactor, ce qui signifiait Réacteur européen à eau pressurisée, mais depuis peu et peut-être eu égard au manque d’enthousiasme européen pour ces réacteurs, EPR2 serait l’acronyme de Evolutionary Pressurized Reactor, le chiffre 2 signifierait que sa conception est bien postérieure à celle de Flamanville.

[3] Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la politique de l’énergie, Belfort, Vie publique, 10 février 2022.

[4] Pierre Breteau, « Les dérapages de l’EPR de Flamanville en graphiques : le coût multiplié par 5, la durée du chantier par 4 », Le Monde, 24 juin 2019

5. Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la politique de l’énergie, idem.

6. [1] Aurélie Barbaux, « La relance du nucléaire dans le monde suspendue à la question du financement », L’usine nouvelle, 19 octobre 2023.

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Plongée aux racines du mouvement antinucléaire français,de mai 68 au Rainbow Warrior, en passant par Creys-Malville

par  Barnabé Binctin

3 janvier 2019 

Source : https://basta.media/De-mai-68-au-Rainbow-warrior-en-passant-par-Creys-Malville-plongee-aux-racines

Remarques liminaires de l’éditeur de l’APAG2

Bien qu’il soit daté de janvier 2019 et qu’il soit donc dépassé par ce qui est intervenu depuis lors et surtout par la relance de l’électro-nucléaire annoncée par le Président Macron dans son discours de Belfort en date du 10 février 2022, le présent document donne un éclairage précieux de l’histoire du mouvement antinucléaire en France. IR

Le gouvernement a confirmé le report à 2035 de la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique nationale. Le projet de construire de nouveaux EPR demeure, pour l’instant, en suspens, alors que se pose la question du remplacement des centrales vieillissantes et du mode de production d’électricité qui leur succédera. Dans ce contexte, où en est le mouvement anti-nucléaire français ? Basta! revient sur l’histoire de cette lutte aussi singulière que l’histoire de l’atome français.

Au royaume de la production énergétique française, son trône vacille, mais le nucléaire est toujours roi. Initialement prévue pour 2025, la réduction à 50% (au lieu de 72%) de la part d’électricité issue de l’atome a été reportée par le gouvernement à 2035. Lors de la présentation de sa Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) le 27 novembre, l’exécutif a annoncé la fermeture d’ici cette date de 14 des 58 réacteurs du pays, qui compte le plus important parc nucléaire du monde au regard de sa population [1]. Les deux réacteurs de Fessenheim fermeront en 2020, mais il faudra ensuite attendre, au plus tôt, 2025 pour voir l’arrêt de tranches supplémentaires. Potentiellement, deux quinquennats successifs pourraient s’écouler sans mises à l’arrêt autres que Fessenheim, souligne le Réseau action climat (RAC), qui regroupe en France les ONG investies sur la question climatique.

Le calendrier pose aussi la question du devenir des 44 autres réacteurs, qui auront en 2035 près de 50 années d’âge moyen… Le gouvernement entend-t-il les remplacer par de nouveaux réacteurs EPR, malgré des coûts qui explosent – près de 11 milliards d’euros pour la construction de l’EPR de Flamanville et des déboires techniques qui s’accumulent [2] ? La question reste en suspens… Pour le mouvement anti-nucléaire, l’objectif de réduction à 50% constituait un pas en avant dans la mise en cause de la toute-puissance de l’atome français, empêtré dans une série de difficultés, telles le vieillissement et la sureté des centrales, les retards et surcoûts liés à l’EPR, ou encore l’épineuse et décisive question des déchets. Les derniers reculs montrent néanmoins que leur lutte, qui plonge ses racines au cœur des bouillonnantes années 60 et 70, est loin d’être achevée.

Les opposants au nucléaire sont habitués à devoir vider l’océan à la petite cuillère. « Le nucléaire a été un rouleau-compresseur en France, on a été écrasé militairement, à Creys-Malville comme à bien d’autres endroits » se souvient Jean-Luc Thierry, un historique du mouvement antinucléaire, animateur du Comité contre Superphénix devenu par la suite animateur de campagnes chez Greenpeace. De là à compter plus de défaites que de victoires ? « Dans les grandes lignes, le combat initial est plutôt un échec. Le plan Messmer, par lequel les choses ont démarré, avait une dimension massive qui était difficile à combattre. Mais il ne faut pas oublier que d’autres centrales étaient prévues, dans les Pyrénées, en Bourgogne ou en Bretagne… On est parvenu à limiter la casse, tout de même » [3].

A l’origine, une critique qui est d’abord l’affaire de spécialistes

Le 6 mars 1974, le contexte est bien différent lorsque Pierre Messmer, alors Premier ministre de Georges Pompidou, annonce officiellement la construction de 13 centrales de 1000 MW chacune. Sous le coup du choc pétrolier, la France, encore bercée par l’idéal gaulliste, croit dur comme fer à la possibilité de l’indépendance énergétique avec l’atome [4]. En sus, le gouvernement envisage la création de quatre à six réacteurs supplémentaires par an d’ici 1985 – soit un objectif total de près de 80 unités. Le plan Messmer consacre une véritable révolution : « Jusque-là, on n’avait jamais travaillé sur l’énergie nucléaire de manière industrielle », se souvient Monique Sené, physicienne du nucléaire qui signe alors « l’Appel des 400 », du nom de ces 400 scientifiques s’inquiétant publiquement de cette orientation majeure.

L’année suivante, elle fonde, en compagnie de son mari Raymond Sené, professeur au Collège de France, le Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN), qu’elle préside toujours. A l’époque, la critique est essentiellement une affaire de spécialistes. C’est que la production d’électricité issue de l’atome reste encore marginale : à peine plus de 10 TW en 1973 – pour 400 TW environ de nos jours. « Le 1erkWh d’électricité nucléaire date de 1963, à la centrale de Chinon, la première à vocation de production d’énergie civile », resitue Charlotte Mijeon, du réseau Sortir du nucléaire (SDN).

Des opposants à « la monoculture nucléaire »

Certes, les intentions ne sont pas nouvelles : la commission Peon (Commission pour la production d’électricité d’origine nucléaire) est lancée dès 1955, année qui voit aussi la création du site de Marcoule, où seront menées les premières recherches sur le cycle du combustible et sur les projets de réacteurs. Mais c’est bien le plan Messmer qui marque l’accélération de ce qui deviendra « la monoculture nucléaire ». Avec l’avènement du programme civil naît sa propre force d’opposition, composée de celles et ceux qu’on appelle toujours aujourd’hui les « antinucléaires ».

Pourtant, dans sa thèse de sociologie consacrée à l’essor du mouvement en France [5], Mikaël Chambru fait remonter sa genèse plus tôt dans le temps, en 1962 précisément : « Un mouvement social ne naît jamais de rien ni de nulle part : pour comprendre le mouvement anti-nucléaire, il faut prendre en compte les premières formes d’organisation et de réflexion qui l’ont nourries » explique l’auteur, qui évoque par exemple la manifestation organisée en 1960 par le commandant Cousteau, aux côtés du Prince Rainier de Monaco, pour dénoncer l’immersion de déchets radioactifs en pleine Méditerranée. « Cela peut être considérée comme l’une des premières mobilisations dans l’espace publique contre l’énergie nucléaire en France ».

« On n’imaginait absolument pas le développement du nucléaire à d’autres fins que militaires »

Ce sont deux autres structures aux combats bien différents qui vont élever en premier la voix contre le nucléaire dans l’hexagone. En 1962, Jean Pignero fonde l’Association de protection contre les rayonnements ionisants (Apri), qui, comme son nom l’indique, s’inquiète d’abord de la radioactivité : « En tant qu’enseignant, on devait effectuer une radioscopie pour prouver que nous n’avions pas la tuberculose. Or, cet examen nous irradiait 50 à 60 fois plus qu’une radiographie ! Mais à cette époque, c’était considéré comme un crime de s’opposer à la radioscopie… », témoigne Jean-Jacques Rettig, qui s’engage dans ce combat en 1967 en Alsace, avant de devenir, quelques années plus tard, l’un des principaux animateurs de la lutte contre la centrale de Fessenheim. « Bien qu’elle soit restée assez isolée, l’Apri est la première structure organisée à s’opposer à l’énergie électro-nucléaire, la première à fournir une base de critique à partir de connaissances techniques », atteste de son côté Mikaël Chambru.

A cette préoccupation d’ordre sanitaire s’ajoute la lutte contre l’arme nucléaire, incarnée notamment par le Mouvement contre l’armement atomique (MCAA), créé l’année suivante, en 1963, sous l’égide notamment du biologiste Jean Rostand. « On est très loin des enjeux énergétiques, cela reste surtout une question de géopolitique internationale, notamment portée par le Parti communiste, très investi dans le mouvement contre la bombe atomique », décrypte Mikaël Chambru.

Sur fond de guerre du Vietnam, plusieurs personnalités s’opposent publiquement à l’utilisation du plutonium comme arme de guerre, à l’image de Lanza del Vasto. De fait, dans les années 60, nucléaire rime presque exclusivement avec militaire : « On n’imaginait absolument pas le développement du nucléaire à d’autres fins que militaires ! » admet aujourd’hui Didier Anger, opposant historique à l’usine de retraitement La Hague. Une usine qui symbolise parfaitement cette transformation : lorsque sa construction est lancée par le Commissariat pour l’énergie atomique (CEA), en 1962, La Hague n’a vocation à extraire du plutonium qu’à des fins militaires.

Mai 68, parent oublié des anti-nucléaires

C’est d’ailleurs dans cette période de contestation, notamment anti-militariste, que germent les « événements » de 68. Or, si l’événement est rarement associé dans l’Histoire à la lutte anti-nucléaire – et pour cause, cette source d’énergie étant alors elle-même marginale – Mai 68 constitue pourtant un « virage », selon les mots de Bernard Laponche. Figure scientifique de la critique du nucléaire en France, cet ancien polytechnicien travaillait alors au CEA, qui vit pleinement la mobilisation générale. Il détaille son propre cheminement personnel : « Jusque-là, j’étais syndiqué, mais de façon assez passive. Mais en 1968, le mouvement est très puissant à Saclay, tout est en grève au CEA. Il y a des élections de conseil partout, à tous les échelons. J’étais très impliqué. Mai 68, c’était des questions à caractère social, les droits des travailleurs, la différence entre cadres et non-cadres, etc. Mais il n’a pas été question de nucléaire, ça n’a pas été un sujet : à cette époque, cette question était peu relayée en France… »

Bernard Laponche poursuit : « C’est avec Mai 68 que je suis devenu militant. Et les premières interrogations sur le nucléaire sont arrivées peu de temps après, avec le changement de technologie : la fin du graphite gaz et le choix des réacteurs à eau ordinaire. C’est ainsi que je découvre les risques du nucléaire pour les travailleurs et les populations » [6]. C’est à la suite de cela qu’il rédige, aux côtés de son collègue à la CFDT Jean-Claude Zerbib, la première grande somme sur l’atome : L’électronucléaire en Francesigné par le syndicat et édité au Seuil en 1975. Une référence : « Ce fut la Bible du mouvement anti-nucléaire, et elle reste toujours d’actualité » assure Monique Sené.

Critique scientifique, contestation démocratique

De fait, Mai 68 a joué un rôle, indirect et discret mais néanmoins fondamental, dans la constitution d’un mouvement de réflexion et d’opposition au nucléaire : « On ne peut pas établir une filiation directe, mais Mai 68 a une influence culturelle considérable sur toute une génération de militants. S’il n’est pas le déclic, il le prépare en toile de fond », résume Mikaël Chambru. Une influence que détaille elle-même cette fameuse génération : « Mai 68 est une critique irrévérente de l’autorité, y compris scientifique : il y a cette idée que la science ne peut plus être un « absolu » incontesté, se souvient Jean-Luc Thierry, alors étudiant au lycée. C’est un véritable choc intellectuel : on ébranle toutes les certitudes, tout devient questionnable. C’est de ce doute instillé que naît véritablement le mouvement nucléaire ».

Quelques mois plus tard, ce dernier deviendra objecteur de conscience et assumera son insoumission à l’armée. Même son de cloche chez Didier Anger, qui voit dans cette émotion collective un déclencheur plus profond : « Mai 68 convertit en quelques sortes la contestation marginale du nucléaire, essentiellement réduite à son utilisation militaire, en un sujet beaucoup plus global. En tant qu’énergie centralisée, dans laquelle le citoyen est tenu très loin des circuits de décision, le nucléaire entre en contradiction avec les revendications montantes d’autogestion et de démocratie participative. La critique d’abord scientifique du nucléaire, rencontre un bruit de fond plus général, une atmosphère propice à la défense d’un autre type de société ».

En 1971, une grande marche devant la centrale du Bugey

De ce terreau fertile, plusieurs penseurs émergent pour questionner le modèle de société soumis par l’industrie nucléaire. Jean-Luc Thierry cite par exemple Herbert Marcuse [7] – « penseur fétiche de Mai 68 dont la critique de la société de consommation va insuffler un état d’esprit qui s’est propagé à tous les secteurs de la société » – mais également Alain Touraine, sociologue qui co-écrit en 1980 le livre La prophétie anti-nucléaire. Ce sont deux autres figures qui aident considérablement à la visibilité et à l’engagement dans la lutte contre le développement de l’énergie nucléaire. Alexandre Grothendieck d’abord. Le célèbre mathématicien sera, par le biais de son association « Vivre et survivre », l’un des premiers grands lanceurs d’alerte sur le sujet.

« À Saclay, la section syndicale CFDT a organisé une assemblée générale à laquelle Grothendieck fut invité, au début des années 1970. La salle était pleine. Grothendieck a fait un discours expliquant que les déchets, c’était dangereux, qu’il y en avait à côté de Saclay qui étaient mal gérés, qu’il y avait des fuites radioactives… Un discours très alarmiste, et très antinucléaire. La hiérarchie était venue – parce que c’était M. Grothendieck, un grand mathématicien – et ils étaient fous de rage, se remémore Bernard Laponche. C’était la première fois qu’il y avait, in situ, dans le temple du nucléaire, une AG avec un scientifique très respecté qui en expliquait les dangers. Cela a fait scandale ».

Ensuite, Pierre Fournier, journaliste et dessinateur passé notamment par Hara-kiri et Charlie hebdooù il fait entrer ce sujet dans le paysage médiatique. Considéré comme un précurseur du mouvement écologiste [8], il fonde La Gueule ouverte en 1972, et en fait un porte-voix actif de la lutte naissante contre le nucléaire. « Il était à nos côtés à la toute première manifestation contre la centrale de Fessenheim, au printemps 1971, se rappelle ainsi Jean-Jacques Rettig. Puis il fut à l’initiative de la grande manifestation à Bugey, quelques semaines plus tard ». Avec 15 000 à 20 000 personnes réunies le 10 juillet 1971, la grande marche devant la centrale de Bugey fait définitivement entrer le sujet à l’agenda politique. « Pierre Fournier est un personnage central, menant à la fois un gros travail de vulgarisation scientifique et en même temps, un vrai plaidoyer pour médiatiser les enjeux », analyse Mikaël Chambru.

Plogoff, une victoire en trompe-l’œil

C’est dans cette dynamique « post-soixante-huitarde » que le mouvement anti-nucléaire s’amplifie, simultanément à l’avènement du nucléaire civil. Les années 70 voient fleurir d’autres penseurs, tel Ivan Illich, qui prennent le relais. D’autres lieux de luttes émergent également, qui enracinent l’existence du mouvement, mais avec des fortunes diverses : en 1977, Vital Michalon, 31 ans, est tué lors de la tragique manifestation de Creys-Malville, tandis qu’en 1981, François Mitterrand offre une victoire symbolique au mouvement en abandonnant le projet de centrale nucléaire de Plogoff. Une décision politique en trompe-l’œil, rappelle au passage Charlotte Mijeon : « L’emblème de Plogoff ne doit pas faire oublier que le programme nucléaire a connu une accélération sans précédent sous le quinquennat de Mitterrand : plusieurs réacteurs ont ouvert, à un rythme très soutenu, dans les années 80 ».

Sans compter le drame du Rainbow warrior, le navire de Greenpeace coulé en juillet 1985 le long des côtes de Nouvelle-Zélande par les services secrets français, alors qu’il protestait contre les essais nucléaires menés par Paris dans le Pacifique… Bien qu’il s’agisse là d’un enjeu lié au nucléaire militaire, les conséquences sont lourdes pour le mouvement : « Cet événement a marqué un véritable coup d’arrêt. On a semé le doute et jeté l’opprobre avec des rumeurs en tous genres. Pendant plusieurs années, un mouvement comme Greenpeace n’a plus souhaité communiquer sur le nucléaire », rappelle Jean-Luc Thierry.

Bure, nouvel épicentre de la lutte anti-nucléaire ?

A la différence de l’industrie qu’elle combat, le mouvement antinucléaire est resté longtemps décentralisé – d’aucuns diraient désorganisé – sans grande articulation principale au niveau national : le réseau national Sortir du nucléaire n’est créé qu’en 1997. « Le mouvement antinucléaire n’a jamais été quelque chose d’unifié. Il a toujours été constitué de différentes poches de résistance au niveau local, agrégeant différentes cultures politiques », observe Charlotte Mijeon. La conséquence logique d’une certaine vision du monde, qui sous-tend la lutte contre l’industrie de l’atome, souligne Jean-Jacques Rettig : « Mai 68 a appris à déconstruire l’État pyramidal, ultra-centralisé et centraliste, et on y a opposé une certaine idée du régionalisme. Il faut croire que cette critique des structures paternalistes établies garde toute sa pertinence à l’heure de Macron-Jupiter… ».

Qu’en est-il de ce vaste mouvement, un demi-siècle plus tard ? L’inventaire est forcément périlleux. Le mouvement est fatigué, miné par le manque de victoires, des conflits en interne et un renouvellement des forces vives qui n’est pas toujours assuré [9]. « Ce n’est pas tout à fait la même chose de lutter contre l’ouverture d’une centrale, que contre sa prolongation… », remet en perspective Mikaël Chambru.

D’autres luttes, à l’image de l’opposition au projet de centre d’enfouissement de déchets radioactifs Cigeo, à Bure, ont pris le relais et continuent de porter le flambeau de la lutte antinucléaire. Peut-être faut-il chercher l’héritage du mouvement un peu plus loin, hors du seul cadre nucléaire ? « Le nucléaire a servi d’ouvre-boîte à d’autres luttes, par exemple à celle contre les OGM. Toutes les questions de risque global ont été fondamentalement influencées par le mouvement anti-nucléaire, analyse Jean-Luc Thierry. Et quand je vois l’opposition aux « grands projets inutiles et imposés » aujourd’hui, qui mobilise différents acteurs autour d’un même territoire, je me dis que la convergence des luttes a encore du sens… ». Ce sont aussi des employés et techniciens d’EDF au sein des centrales, ou des cheminots impliqués dans le transport de matières radioactives, qui n’hésitent pas à alerter sur les défaillances et les risques (lire nos enquêtes sur le sujet, notamment : « C’est incroyable qu’on n’ait pas encore fondu un cœur de réacteur » : des techniciens EDF s’inquiètent). Reste à prendre la mesure d’un nouveau contexte politique, marqué par la criminalisation sans précédent du mouvement d’opposition à Bure.

Notes

[1] Estimation issue de la Sfen (Société française d’énergie nucléaire), lobby scientifique pro-nucléaire : lire ici.

[2] Voir les révélations du Journal du Dimanche en date du 28 octobre 2018, consultables ici

[3] Voir la bataille contre le projet de centrale nucléaire à Port-Vendres, que raconte cet ancien article du Monde datant de 1980.

[4] Revoir les images de l’époque dans ces archives de l’INA.

[5« Communication, délibération et mouvements sociaux : l’espace public à l’épreuve du phénomène antinucléaire en France (1962-2012) » par Mikaël Chambru, à découvrir ici.

[6] Pour approfondir, lire le grand entretien biographique accordé à la revue Mouvementsdont ce témoignage est extrait dans une forme aménagée

[7] Relire à ce sujet une interview accordée au Nouvel Observateur en 1972, dans le cadre d’un dossier intitulé « Écologie et Révolution », et dont l’archive est disponible ici.

[8] Lire le livre qui lui est consacré à ce sujet : Fournier, précurseur de l’écologie.

[9] A ce sujet, on peut lire la tribune de Gaspard d’Allens et la réponse qu’elle a suscité, publiées sur Reporterre].

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