Reprise de l’électrification nucléaire du pays
Rien ne change, l’État se moque des conséquences sociales et écologiques de ses choix
Pierre Péguin
Docteur ès sciences
juin 2020
Alors que les déchets nucléaires s’accumulent et saturent les sites de stockage sans qu’existe aucune solution satisfaisante pour leur gestion à long terme ; alors que la filière française vieillissante, avec des cœurs fissurés et des éléments de construction mal en point tels que les générateurs de vapeur ou les diesels de secours, inquiète même des responsables du lobby, l’État relance sa politique d’électrification nucléaire du pays.
Pourtant le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a exprimé son souci de la « situation très préoccupante » de la filière nucléaire française (1) , et du « déficit de culture de précaution » (2). Nous pouvons donc légitimement nous inquiéter de l’éventualité d’une catastrophe atomique.
Mais l’État aux mains du lobby de l’atome, s’obstine, il met en place les dispositifs favorables à la poursuite et donc à la relance de la production d’électricité nucléaire. Cette activité est visiblement plus importante aux yeux du pouvoir que la sécurité de la population qu’il est sensé protéger. La dégradation de services publics, en particulier hospitaliers dont on a cruellement mesuré l’insuffisance de moyens face au covid19, a déjà illustré le manque d’intérêt de nos gouvernants pour la protection et le bien-être de leurs concitoyens.
Décisions récentes pour la relance de la consommation d’électricité nécessaire à la survie de l’électronucléaire
Elles concernent essentiellement la promotion de la voiture dite « propre » d’une part, et d’autre part la promotion des chauffages électriques pour des logements moins bien isolés.
Bonus « écologique » pour un véhicule électrique ou hybride
Plan de soutien à l’automobile, présenté le 26 mai par le Président de la République, mesures pour faciliter l’achat de véhicules électriques, bonus « écologique » et prime à la conversion pour remplacer un véhicule condamné à la casse.
Mais ce plan est-il vraiment écologique ? Le soutien à l’achat de voitures n’est-il pas en contradiction avec le souci de développer les transports en commun, le train en particulier qui à ce jour n’a pas obtenu d’aide, alors que les milliards vont arroser également l’aéronautique?
La voiture prétendue « propre » l’est-elle vraiment ? Certes elle semble moins polluer que les véhicules à moteur thermique, mais la pollution n’est que déplacée vers toute la chaîne du combustible nucléaire, de la mine d’uranium à La Hague en passant par Malvesi, Tricastin, Marcoule, etc. ; et avec la création de déchets radioactifs pour des milliers d’années qu’on ne sait pas gérer ; et avec des réacteurs à démanteler pendant des dizaines d’années.
EDF livrant une électricité à 70 % d’origine atomique, les véhicules « propres » roulent en fait au nucléaire, est-ce mieux que le pétrole ?
Et envoyer des véhicules encore utilisables à la casse pour obtenir la prime à la conversion n’est-ce pas justement anti-écologique, alors que nous appelons à l’utilisation d’objets durables et réparables?
La fabrication d’un véhicule neuf et de ses batteries n’est-elle pas très coûteuse en énergie et en matériaux dont certains de plus en plus rares?
Quant à la production des particules fines, l’avantage de l’électricité est peut-être bien un leurre : d’après « Transitions et Energies » du 18 mars, Pneus et freins pollueraient bien plus que les moteurs. Les moteurs diesel, et essence ne représenteraient qu’une part limitée des émissions de particules fines émises par tous les types de véhicules, car provenant avant tout de l’abrasion des pneumatiques et des systèmes de freinage.
8 milliards d’euros sont consacrés à ce plan d’aide à l’achat de véhicules « propres ». Si on y ajoute ceux d’un montant comparable versés à Areva/Orano et EDF pour les sauver de la faillite, ainsi que le versement à EDF de la coquette somme de plus de 3 milliards d’€ pour « manque à gagner » dû à l’arrêt de la centrale de Fessenheim (3), on voit bien quel est l’un des soucis majeurs du gouvernement !
On en vient à rêver de tout ce qu’on pourrait faire avec ces sommes considérables si elles étaient consacrées à de véritables choix sociaux et écologiques, comme par exemple la rénovation des logements anciens, la généralisation de chauffe-eaux solaires, etc. toutes activités génératrices de nombreux emplois décentralisés ! ….
Ce plan d’aide à l’achat de véhicules prétendus « propres », est un choix anti-écologique destiné à soutenir la production d’électricité nucléaire, et en même temps permettant de satisfaire le lobby de l’automobile. D’ailleurs le coût élevé de ces véhicules les réservent aux voitures secondaires des couches aisées de la population à nouveau subventionnées….
La relance incroyable du chauffage électrique !
L’arnaque (4) : L’État, en changeant un simple coefficient, relance la pose de radiateurs électriques dans les logements qui pourront même être moins bien isolés. Les factures de chauffage des gens modestes qui les habiteront vont s’envoler, voilà une mesure antiécologique et antisociale de plus.
En quoi consiste l’entourloupe ? Sous l’impulsion de consignes européennes, les consommations d’énergie pour le chauffage et l’eau chaude avaient été limitées à 50Kwh/m2 de logement, ces 50kwh étant comptés en énergie primaire, c.a.d. en énergie nécessaire à leur production. Cela a enfin ramené l’électricité à leur réalité, car il faut en effet fournir 3 kwh en chaleur pour pouvoir en produire 1 consommable du fait du mauvais rendement des réacteurs et des centrales thermiques, chaque kwh électrique consommé est alors compté comme 2,58 kwh (coefficient bien favorable le plus juste serait plutôt de 2,7), contre 1 pour ceux d’origine renouvelable ou pour le gaz brûlé sur place plus efficace. Cela a mis un frein au chauffage électrique au profit des pompes à chaleur et des chauffages au gaz. Et bien il suffit de diminuer arbitrairement ce coefficient à 2,3 pour que chauffage et eau chaude électriques puissent à nouveau passer sous la barre du 50Kwh/m2, et ce, même dans les logements moins bien isolés.
Ainsi l’exception française de chauffage électrique des logements et de l’eau sanitaire est maintenue, malgré le non sens écologique et économique qu’elle constitue. C’est aussi un plan antisocial, un défi aux classes populaires. Comment paieront-elles les factures de chauffage électrique de plus en plus élevées (avec l’augmentation en cours des tarifs) au point parfois de ne plus pouvoir se chauffer ?
En guise de commentaires
Nos voisins européens dont la plupart ont quitté ou sont en voie de quitter le nucléaire, sans pour autant retourner à la bougie et à la caverne, procèdent autrement. Aucun d’entre eux ne favorise la production de chaleur par l’électricité, mais ils développent la production d’énergie renouvelable pour l’eau chaude et l’électricité. En Espagne par exemple aucun permis de construire n’est accordé s’il ne comprend pas un système solaire ; ou encore en Allemagne qui produit son électricité à plus de 45 % par des renouvelables, et qui investit dans la production d’hydrogène « Vert », on observe bien plus d’équipements solaires qu’en France pourtant bien plus ensoleillée.
Retenons donc que si beaucoup de pays voisins se préoccupent de diminuer leurs émissions de CO2, ils le font sans nucléaire, tandis que la France, 9 ans après la catastrophe de Fukushima toujours incontrôlable, (5) s’obstine dans une technologie périmée, lourde, coûteuse et surtout dangereuse. Elle s’obstine à prendre des mesures favorables à la surconsommation d’électricité, alors qu’à nos yeux l’arrêt indispensable de la production d’électricité atomique nécessite en priorité des mesures de sobriété.
Nous risquons de nous retrouver en situation d’avoir à subir une catastrophe comparable à celle de Fukushima. Il est criminel d’ignorer pareil risque.
Non seulement l’Etat ne se soucie pas réellement de prendre des mesures alliant l’écologie et le social, mais en plus il nous maintient sous la menace de la catastrophe nucléaire tant redoutée.
Pourtant on sait maintenant que la fin du nucléaire est mondialement programmée, (6) et qu’il n’est pas une solution contre le réchauffement climatique » (7).
Une seule urgence : l’arrêt du nucléaire dans les plus brefs délais. (8)
Notes
(3) Alors qu’EDF aurait eu beaucoup à investir pour assurer plus longtemps le fonctionnement des 2 réacteurs de cette centrale. Il s’agit bien d’un cadeau déguisé pour échapper à la surveillance de l’Europe préservant « la concurrence libre et non faussée ». Cela veut dire aussi que ce cadeau sera renouvelé à tout nouvel arrêt de centrale….)
(4) « Si la transition écologique par le nucléaire est le choix de la technocratie française, il faut le dire clairement » https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/28/energie-si-la-transition-ecologique-par-le-nucleaire-est-le-choix-de-la-technocratie-francaise-il-faut-le-dire-clairement_6031208_3232.html
Voir aussi, https://www.batiactu.com/edito/acteurs-vent-debout-face-a-rede nition-niveau-bbc- 58949.php?,MD5email=7a2b62c8e205e645d1cbd48f8a6d7387&utm_source=news_actu&utm_ medium=edito&utm_content=article
(5) Voilà 9 ans que la catastrophe nucléaire de Fukushima se développe et s’aggrave, contaminant toujours plus de territoires, d’habitants. Les autorités japonaises veulent reverser dans le Pacifique les quantités astronomiques d’eau radioactive stockée dans des milliers de réservoirs autour de la centrale accidentée. Quant au démantèlement de cette dernière, il durera au moins une cinquantaine d’années https://bit.ly/3cjcfCn, tandis que la décontamination des sols paraît impossible : https://www.soil-journal.net/5/333/2019
(6) La fin programmée de l’énergie nucléaire dans le monde,
https://www.trahnsitionsenergies.com/ n-energie-nucleaire-monde/, Et extrait de la lettre de l’Observatoire du nucléaire: « Concurrencé par les renouvelables, le nucléaire décline dans le monde, voir Reporterre, 19 décembre 2019 : https://bit.ly/32ccnid et le World Nuclear Industry Status Report qui, sous la direction de Mycle Schneider, analyse l’état de l’industrie nucléaire dans le monde et, cette année, consacre un nouveau chapitre à l’évaluation de l’option nucléaire comme moyen de combattre l’urgence climatique ».
(8) L’arrêt immédiat du nucléaire français est techniquement possible à l’échelle européenne http://collectif-adn.fr/2019/arret-immediat-europe.htm