Archives mensuelles : mars 2023

Vers l’emploi de l’arme nucléaire en Europe ? 

par Jean-Marc Royer,

Carnets de Guerre #4 Extraits 

30 septembre 2022

Dossier GSIEN – Nucléaire militaire

Source : La Gazette nucléaire 298/299

« La porte du feu nucléaire est ouverte depuis le 24 février 2022 en Europe et à ce jour, elle n’a pas été refermée ». 

Des élargissements de l’Otan aux manœuvres guerrières de part et d’autre
Le 9 février 1990 à Moscou, dans une phrase devenue célèbre depuis, le secrétaire d’état James Baker avait dit à Gorbatchev que : « les discussions entre les deux Allemagnes et les quatre forces d’occupation doivent garantir que l’Otan n’ira pas plus loin : sa juridiction militaire actuelle ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est ». Le lendemain, Helmut Kohl, affirmait à son tour : « Nous 

pensons que l’Otan ne devrait pas élargir sa portée ». Neuf ans plus tard, fin avril 1999, le plan d’action pour l’adhésion de nouveaux membres était adopté lors de son 15e sommet à Washington. La Pologne, la Hongrie, la République Tchèque rejoignaient l’organisation militaire et à partir de 2004, onze nouveaux membres étaient successivement intégrés. 

Lors de la conférence de Munich sur la sécurité en 2007, Poutine avait publiquement et clairement indiqué qu’il considérait l’élargissement de l’alliance Atlantique comme une provocation sérieuse qui réduisait le niveau de confiance mutuelle. C’est un fait, l’Otan s’est rapprochée de 1 200 kilomètres des frontières occidentales de la Russie depuis la fin de la guerre froide et la frontière lettone est à moins de 600 km de sa capitale. 

En 1999 également, durant la guerre du Kosovo, l’Otan a participé au conflit par des bombardements massifs (trois cents par jour durant quatre mois !), sans avoir l’approbation du Conseil de sécurité et en violation des articles 5 et 6 de ses statuts qui précisent qu’elle n’est pas une structure offensive, mais défensive. D’autre part, depuis la fin de l’année 2001, l’organisation Atlantique a mené des opérations très largement en dehors de ses périmètres géographiques et légaux d’intervention, à savoir : en Afghanistan, en Mer Rouge, dans le golfe d’Aden, en Océan Indien et en Lybie. 

De son côté, Poutine allait mener huit guerres entre la fin de 1999 et 2022. Pour le récapituler rapidement, il intègre l’administration présidentielle en mars 1997, juste après la première guerre contre la Tchétchénie. Pendant la période où il est chef du FSB – de juillet 1998 à décembre 1999 – se produisent les cinq attentats qui serviront de prétexte au déclenchement de la seconde guerre tchétchène afin de «laver l’affront » de la défaite précédente. Il devient président de la Russie fin 1999, pendant le siège de Grozny. Les combats dévastèrent la capitale tchétchène au point qu’en 2003, les Nations unies la qualifièrent de « ville la plus détruite sur Terre ». En 2008, Poutine a mené une guerre éclair contre la Géorgie. En 2014, le Donbass et la Crimée étaient envahis, causant la mort de 18 000 personnes en huit années. À partir du 30 septembre 2015, l’État russe a commencé à se déployer militairement en Syrie[vi] afin de soutenir Bachar Al Assad et ses propres intérêts au Moyen- Orient. En 2016, après Grozny et avant Marioupol, Alep était réduite à un champ de ruines. En septembre 2020 une intervention de « maintien de la paix » dans le Haut- Karabakh avait lieu et en janvier 2022, l’armée russe est intervenue au Kazakhstan. 

Les traités de limitation des armes nucléaires sont devenus caducs
En fait, après avoir promulgué le « Patriot Act » à la fin du mois d’octobre 2001, l’administration états-unienne commençait à mettre en œuvre ce qui fut par la suite théorisé comme le « continuum de sécurité globale ». Le 13 décembre suivant, les États-Unis se retirèrent unilatéralement du traité ABM (Anti Balistique Missile) qui limitait drastiquement l’emploi de ces armes nucléaires. George W Bush présenta ce retrait comme une première étape vers la mise au point et le déploiement d’un bouclier de défense anti-missiles destiné, selon lui, à protéger les États-Unis et ses alliés, dont la Russie ( ! ), d’une attaque 

de missiles tirés par des « États voyous », mentionnant notamment l’Iran, la Corée du Nord ou la Somalie… De fait, les anciens traités de maîtrise des armements nucléaires issus de la guerre froide et l’accord de Ciel ouvert entré en vigueur en 2002 ont été remis en cause. Il ne reste à présent que le traité New Start. 

Le 2 août 2019, les États-Unis sortaient officiellement du traité de limitation des Forces Nucléaires à portée Intermédiaire (INF en anglais) conclus en 1987, suivis par la Russie quelques mois plus tard. La route était libre pour une relance de la course aux armements. Dès le lendemain du retrait, le Pentagone publiait la photo du tir d’un nouveau missile Tomahawk suivi de deux autres essais de missiles sol/sol – l’ATACMS « upgraded » et le « Precise Strike Missile ». Un peu plus tard, cette même année, le Pentagone signalait le déploiement du Sous-marin Nucléaire Lanceurs d’Engins « USS Tennessee » avec des missiles Mer-Sol Balistique à tête nucléaire de 5 à 7 Kilotonnes de puissance, tandis que Poutine annonçait la mise au point par la Russie d’une panoplie de nouvelles armes stratégiques toutes réputées quasi impossibles à intercepter, et capables de frapper en n’importe quel point duglobe. 

(…) 

En 2013, Poutine s’engouffre dans la porte ouverte… 

En août 2012, un mois après que le régime de Bachar el Assad ait reconnu posséder des armes chimiques, Barack Obama déclarait que l’utilisation de telles armes constituait « une ligne rouge » à ne pas franchir sous peine « d’énormes conséquences ». Lorsqu’en août 2013, 1 400 personnes dont 426 enfants décédaient suite à l’usage de gaz toxiques lors d’attaques dans la banlieue de Damas, Obama reculait piteusement. Poutine a ainsi trouvé la voie ouverte à une présence impériale en Syrie. Et Bachar a donc continué à se servir du chlore, ce qui fut le cas au moins à trois reprises en 2014 et 2015, sur des localités de la province d’Idleb, ce qu’une commission d’enquête de l’ONU a ensuite confirmé. On ne peut évidemment s’empêcher de rapprocher la reculade d’Obama – et de ses terribles suites pour les populations locales – de la spectaculaire défaite des Etats-Unis en Afghanistan en août 2021, laquelle fut contemporaine des préparatifs militaires d’invasion de l’Ukraine par Poutine. 

L’invasion de l’Ukraine en 2014 et les implantations de missiles US en 2016
Lorsque George W. Bush avait annoncé la sortie du traité ABM au profit d’un « bouclier anti-missiles » dont les premiers éléments devaient être déployés en Pologne et en République tchèque, cela fut assez vite contesté par la fédération de Russie qui y vit une invalidation de sa propre dissuasion nucléaire. En effet, ces missiles pouvaient tout aussi bien permettre des tirs défensifs sol-air – le « bouclier » de G. W. Bush – que des tirs offensifs sol-sol de missiles nucléaires vers le territoire russe. De fait, cela constituait une remise en cause de « sa capacité de frappe en second » et invalidait du même coup la stratégie dite de « dissuasion nucléaire » de la Russie. Les implantations de missiles du « bouclier » devaient finalement se concrétiser, d’abord en Roumanie en mai 2016, puis en 2018 en Pologne. Pour y répondre, les russes déployèrent alors leur système sol-sol Iskander dans l’enclave de Kaliningrad. 

Gazette nucléaire – Janvier 2023 – Page 33 

L’invasion du Donbass et l’annexion de la Crimée en 2014 furent un « coup de poker » minutieusement mis au point par le clan Poutine. Ceci dit, cette blitzkrieg fut d’autant plus facile à réaliser que les Européens ont détourné les yeux et se sont bouchés les oreilles afin de « sécuriser » leurs gigantesques investissements en Russie. Devant les opinions, ils ont continué à justifier leur attentisme par un dogme vieux de deux siècles : « continuons à faire du commerce avec les russes, ils progresseront vers notre modèle libéral ». 

Ce vieux credo raciste a particulièrement sévi en Allemagne depuis 1990, car ce capital voue une reconnaissance éternelle au pouvoir de Gorby (un sobriquet affectif particulièrement en vogue outre-Rhin) pour l’avoir laissé faire le casse du siècle en RDA, un Anschluss plus connu sous le nom de « réunification ». C’est également ce qui explique que, malgré les renseignements concordants et les images satellites à profusion, les européens ne voulaient toujours pas croire à l’invasion de l’Ukraine quelques jours avant qu’elle se produise. « Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir » (dicton populaire). 

Tout s’accélère à partir de juin 2019 

Le nucléaire dans la nouvelle stratégie militaire des USA
Le 11 juin 2019, l’état-major US publie un document intitulé “Nuclear Operations Joint Publication 3-72” qui précise le mode d’emploi de l’arme nucléaire dite tactique: « Integration of nuclear weapons employment with conventional and special operations forces is essential to the success of any mission or operation ». Cette nouvelle conception intègre d’emblée dans la confrontation militaire une dimension nucléaire conçue comme un « continuum de l’engagement conventionnel » avec l’emploi possible de charges nucléaires de faible puissance sur la ligne de front. Ce qui signifie que le nucléaire peut s’utiliser comme n’importe quelle arme dès lors que la cible est militaire et qu’obtenir la victoire l’impose, une évolution qui sera aussi celle de Moscou l’année suivante. Face aux armées chinoise ou russe, ce type d’engagement provoquerait vraisemblablement une riposte du même o

Autrement dit, si l’on rapproche cette nouvelle stratégie militaire des manœuvres annuelles de l’Otan et de ses implantations de missiles, on peut avancer qu’au moins depuis 2016, les Etats-Unis préparent, organisent et accoutument de facto les européens à l’éventualité d’une « bataille nucléaire de l’avant » contre la Russie – pour reprendre la terminologie de la guerre froide – sauf qu’à présent « le glacis » séparant l’Europe de l’Ouest de la Russie est réduit à l’Ukraine. 

En outre, il ne faudrait pas négliger ceci : durant la « guerre froide », les affrontements entre blocs ne se sont pas déroulés en Europe pour de multiples raisons, mais ailleurs, sur ce qui fut alors appelé « des terrains secondaires ». Il se trouve qu’aujourd’hui l’affrontement principal est celui qui se joue entre les États-Unis et la Chine en Asie-pacifique et que l’Europe est justement devenue une sorte de « terrain 

secondaire » dans ce face à face, de tous les points de vue : militaire, économique, politique. 

Last but not least, du point de vue de la « dissuasion », la nouvelle stratégie états-unienne (puis russe, un an après) rend en grande partie caduque l’activation d’un « ultime avertissement unique » dont se prévalaient et se prévalent encore des pays dotés de l’arme nucléaire… Exit donc tous les arguments militaires qui soutenaient ladite « dissuasion nucléaire » depuis plus d’un demi-siècle. 

La nouvelle stratégie nucléaire de la Russie 

Le texte de 2020, listant les « conditions déterminant la possibilité d’emploi de l’arme nucléaire » (point 19), prévoit quatre circonstances : 

– l’obtention « d’informations fiables sur le lancement de missiles balistiques attaquant le territoire russe et (ou) celui de ses alliés » ;
– la réalisation par l’adversaire « d’actes contre des sites étatiques ou militaires d’importance critique de la Fédération de Russie dont la mise hors de fonctionnement conduirait à compromettre la riposte des forces nucléaires » ;

– « l’emploi par l’adversaire d’armes nucléaires ou d’autres types d’armes de destruction massive contre le territoire de la Fédération de Russie et (ou) de ses alliés » ;
– « une agression contre la Fédération de Russie engageant des armements conventionnels, quand l’existence même de l’État est menacée ». 

Le 3 juillet 2021, durant ce qui s’est avéré être des préparatifs de guerre, Poutine a également signé une nouvelle stratégie de sécurité nationale qui se substitue à celle qui était en vigueur depuis 2015, laquelle envisageait encore comme possible le rétablissement d’une relation constructive avec les États-Unis et leurs alliés… Ce n’est plus le cas ici : la confrontation avec l’Occident serait appelée à durer, car ces pays seraient déterminés à affaiblir la Russie aux niveaux militaire, technologique, économique et « spirituel ». Une tentative « d’occidentalisation de la Russie », présentée comme en passe de réussir, serait en jeu. Il y est explicitement indiqué que des forces étrangères tenteront d’exploiter les difficultés internes de la Russie. En outre, à la différence du texte de 2015, l’UE n’est plus mentionnée dans ce texte, ce que les propositions de traité et d’accord de décembre 2021 – uniquement et ostensiblement adressés aux Etats-Unis et à l’Otan – viendront entériner. En d’autres termes, le clan Poutine ne considère pas l’UE comme une puissance militaire, ce qui renforce malheureusement la possibilité de considérer l’Europe comme un « terrain secondaire d’affrontements », et que les Ukrainiens sont en train de vivre dans leur chair. 

Article complet : Carnets de Guerre #4 

Les autres carnets
Carnets de Guerre #1
Notes sur l’invasion Russe de l’Ukraine
Carnets de Guerre #2
L’anschluss de la RDA, première extension de l’OTAN en 1990
Carnets de Guerre #3
Un désastre nucléaire est d’actualité en Europe 

rdre, suivie d’une escalade nucléaire impliquant tous les membres de l’Otan, selon les implications de son article 5. 

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Nucléaire »tactique » :

le mirage de bombes moins dévastatrices

par Sébastien Seibt, France 24

Dossier GSIEN – Nucléaire militaire

France 24. 10 octobre 2022

Source : La Gazette nucléaire 298/299

Alors que la menace d’utilisation d’armes nucléaires grandit, que ce soit du côté de la Russie ou de la Corée du Nord, la discussion tourne essentiellement autour du recours aux bombes dites « tactiques ». Une famille d’armes nucléaires présentées comme « moins puissantes ». Au risque de rendre plus acceptable l’utilisation d’armes de destruction massive ?

C’est un qualificatif qui revient de plus en plus souvent pour évoquer les armes nucléaires. La Corée du Nord a affirmé, lundi 10 septembre, avoir effectué une simulation « nucléaire tactique ». La Russie a multiplié les références à son arsenal nucléaire « tactique » en guise de menace d’intensification de sa guerre en Ukraine. Même Joe Biden, le président américain, y a fait une référence directe en évoquant vendredi le risque d’un « Armageddon » nucléaire si Moscou avait recours à de telles armes sur le champ de bataille.

« Jusqu’à cet été, on parlait essentiellement d’armes nucléaires sans vraiment préciser, et puis on a commencé à recourir de plus en plus souvent au qualificatif ‘tactique' », remarque Jean-Marie Collin, expert et porte-parole de l’Ican France [Campagne internationale pour abolir l’arme nucléaire], la chapelle hexagonale de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires.

Des armes utilisables sur le champ de bataille ?

Un glissement sémantique qui correspond avant tout à un distinguo militaire. Les armes nucléaires tactiques se différencient de leurs ainées stratégiques tout d’abord « à cause de raisons techniques liées à la physique », explique Alexandre Vautravers, expert en sécurité et en armement et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse (RMS).

Là où un missile balistique nucléaire cherche à frapper fort sur tous les tableaux – souffle de l’explosion, impact thermique, rayonnement des radiations et des perturbations électromagnétiques –, avec l’arme dite « tactique », « on cherche à maximiser l’onde de choc et minimiser les autres effets pouvant être indésirables, si les propres troupes de l’utilisateur de l’arme ont prévu de traverser la zone battue », précise ce spécialiste.

De ce fait, elles sont considérées plus « mobiles » et peuvent être transportées plus aisément sur un champ de bataille. Rien de tel avec les missiles stratégiques, situés dans des silos, ou embarqués sur des sous-marins et des bombardiers spécialement conçus à cet effet.

Il existe une autre manière de diviser l’arsenal nucléaire, qui « tient à la fonction qu’on accorde à chaque bombe », souligne Fabian Rene Hoffmann, spécialiste des armes nucléaires pour l’Oslo Nuclear Project de l’université d’Oslo.

En théorie, les armes stratégiques « doivent pouvoir être utilisées par les États pour viser directement d’autres nations afin de les dissuader d’attaquer, tandis que ogives tactiques sont censées pouvoir être utilisées directement sur le champ de bataille pour viser des objectifs précis », résume Jana Baldus, spécialiste des questions de contrôle des armes nucléaires au Peace Research Institute de Francfort.

Les armes nucléaires tactiques sont présentées comme étant plus précises et leurs effets plus limités : « L’explosion a lieu à très basse altitude ou au niveau du sol ; l’objectif est la destruction d’une infrastructure ou d’une cible précise et les effets peuvent se limiter à un rayon de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres », précise Alexandre Vautravers.

D’un point de vue opérationnel, c’est l’ultime recours sur le champ de bataille quand une armée fait face à un danger que les armes conventionnelles ne sont pas en mesure d’écarter efficacement, ou pour viser un objectif trop grand pour de simples missiles. Il pourrait, à ce titre, être utilisé pour détruire une colonne de chars qui s’avance vers la ligne de front ou pour viser une base aérienne militaire d’une taille importante.

La tentation de banaliser l’arme nucléaire

Mais ce sont des différences théoriques. En effet, aucune bombe nucléaire – quel que soit son type – n’a été utilisée durant un conflit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et « la frontière entre les deux catégories demeure très artificielle. Les États-Unis et la Russie ont débattu à de nombreuses occasions de ce qui relevait du ‘tactique’ ou du ‘stratégique’ sans réussir à se mettre vraiment d’accord », souligne Jana Baldus.

Ce flou se retrouve même dans les documents officiels de l’Otan. Leur récapitulatif de la « définition des forces nucléaires » prouve le grand écart qu’il y a entre, par exemple, la vision française des armes nucléaires stratégiques – dont la « définition tient à la doctrine de dissuasion nucléaire plutôt qu’à des spécifications techniques » – et celle de la Russie, qui remplit presque une page entière de spécifications.

En réalité, le recours de plus en plus fréquent au qualificatif « tactique » répond à « un motif très politique qui est de rendre l’arme nucléaire ‘utilisable’ dans le cadre d’un conflit », affirme Fabian Rene Hoffmann. Ce terme « introduit un biais inconscient parmi les populations : il y aurait une forme d’arme nucléaire plus acceptable qu’une autre car son utilisation serait limitée à des objectifs militaires », ajoute Jana Baldus.

Une pente très dangereuse pour Jean-Marie Collin car elle tend à faire oublier que toutes les bombes nucléaires – tactiques ou stratégiques – sont « des armes de destruction massive ». Ainsi, « il y a de fortes chances que les bombes américaines larguées sur Hiroshima ou Nagasaki soient considérées aujourd’hui comme des armes tactiques », note Jana Baldus.

En outre, la plus redoutable « des bombes conventionnelles américaines – surnommée Moab (pour ‘Massive Ordnance Air Blast bomb’ – ou bombe à effet de souffle massif) – a une puissance de destruction équivalente à 11 tonnes de TNT alors que la moins puissante des armes nucléaires dites ‘tactiques’ russes a une puissance équivalente à 300 tonnes de TNT », résume Jean-Marie Collin.

Cette obsession sémantique russe pour le nucléaire « tactique » risque aussi de relancer une course aux armements. Actuellement, la France n’a que des armes nucléaires stratégiques, tandis que les États-Unis se sont débarrassés de leur arsenal tactique au profit d’armes conventionnelles.

Mais si Moscou fait planer la menace de l’utilisation d’une telle arme tactique sur le champ de bataille, cela pourrait pousser d’autres puissances nucléaires à en acquérir. Et plus il y aura d’armes de ce type – présentées comme moins dévastatrices – en circulation, plus le risque qu’elles soient utilisées un jour grandira.

[France 24, 10/10/22]

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La dissuasion de Papa est morte…

Place à la dissémination atomique !

par Abraham Behar

membre du GSIEN

Président de l’Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire (AMFPGN)

Dossier GSIEN – Nucléaire militaire

Source : La Gazette nucléaire 298/299

Quand nous avons indiqué le consensus mondial sur la fin de la dissuasion nucléaire classique, nous savions que la nature a horreur du vide. L’article de Claude ANGELI dans le Canard Enchainé du 20/04/2022 vient confirmer_le grand remplacement par les USA : « le 12 avril, Jessica Cox, directrice de la politique nucléaire de l’OTAN, en a défini_les grandes lignes…_Une nouvelle arme nucléaire, le B61-MODELE 12, sera bientôt stockée_sur le sol européen. Les pays qui ont acheté des avions F-35 américains_pourront l’utiliser contre un agresseur, sous le strict contrôle du pentagone ».

Le B61-MODÈLE 12 : c’est quoi au juste ?

La B61-12 en développement depuis 2012 doit entrer en production en 2022.

En date de décembre 2021, ses vecteurs sont les chasseurs F-15E, F-16, Panavia Tornado et le bombardier B-2 Spirit. Il est prévu dans l’avenir que le chasseur F-35 et le bombardier B-21 Raider puissent l’employer. Le F/A-18E Super Hornet avait été également mis sur la liste en 2018 puis retiré en novembre 2021.

Spécifications_et Dimensions

La bombe pour avion B61 a un diamètre 13,3_pouces (33,78_cm), une longueur de 141_pouces (358,14_cm) et pèse entre 695 et 715_livres (de 315 à 324_kg) selon le modèle. Cette_masse_inclut la coquille aérodynamique externe, un nez déformable en forme de cône, un compartiment à parachute dans la queue, des ailes stabilisatrices, etc. Le diamètre est celui de la bombe même, sans ailes.

L’appareil qui entoure le cœur de la B61 a probablement les mêmes dimensions que la W80, qui a un diamètre de 11,8_pouces (30_cm) et une longueur de 31,4_pouces (79,8_cm)._

Certains experts dénoncent le coût prohibitif et l’inutilité du programme de modernisation de la B61 qui est, depuis les années 2000, la seule_arme nucléaire tactique_de l’arsenal des États-Unis. Sa puissance est variable, allant de 0,3_kt (tactique) à plus de 100_kt (stratégique). Sa puissance maximale est de 340_kt. Le nouveau modèle B61-12 a été classé selon ses caractéristiques comme tactique et stratégique.

Normalisation de l’arme nucléaire D’après le magazine Military Watch, « La B61-12 est une arme nucléaire tactique dotée d’une charge utile relativement faible, conçue pour des frappes de précision contre des cibles ennemies bien fortifiées et des concentrations de troupes. Selon l’éminent stratège nucléaire américain, le général James Cartwright, chef d’état-major interarmées, le fait de rendre les armes nucléaires plus petites et plus précises a pour effet de « rendre l’arme plus pensable« . Les armes nucléaires tactiques permettent des frappes nucléaires précises sans le nombre de victimes civiles et de dommages collatéraux qu’entraînerait une arme nucléaire à haut rendement. Leur développement est donc largement considéré par les analystes de la défense, y compris le général Cartwright, comme un moyen de rendre l’utilisation des armes nucléaires plus applicable et, par conséquent, potentiellement normalisée en temps de guerre ».

Les fondements stratégiques de la nouvelle dissuasion_

Contrairement à la doctrine ultra concentrée de l’ancienne dissuasion, et à la maitrise directe des USA sur tout le processus d’utilisation des armes nucléaires (même pour les “TRIDENT“ Britanniques) pour les pays de l’OTAN (avec une coordination, pour une force de frappe indépendante, comme pour la France) on retourne à l’ancienne doctrine des fusées Pershing disséminées en EUROPE, mais avec une possibilité d’utilisation nationale, même si le contrôle par le PENTAGONE, est proclamé. Les premiers pays bénéficiaires sont l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et les Pays Bas, puis ensuite tous les autres (même l’Albanie !)._

Quelle contre-attaque pour nous ?

Nous ne pouvons pas reprendre nos vieux slogans : “NI PERSHING, NI SS20“, car, même déguisé en “Ni stade_2 Russe ni stade_2 Américain“, ils resteraient incompréhensibles. Nous sommes condamnés_à inventer une autre forme de lutte, et trouver_un mot d’ordre immédiat.

Face à l’agression russe en Ukraine, en tant que soignants, nous nous battons pour “un cessez le feu immédiat“ compréhensible par tous. Face à cette nouvelle donne, l’urgence est dans cette recherche d’une cible simple comme : « la prolifération atomique est en Europe ».

Il faut un moratoire immédiat, « la prévention du désastre nucléaire c’est ici et maintenant ».

Bibliographie

•_« The B61 (Mk-61) Bomb », sur nuclearweaponarchive.org, 9 janvier 2007 (consulté le 9 décembre 2015).

•_National Nuclear Security Administration,_« A look at the U.S. nuclear stockpile », sur YouTube, 5 novembre 2021 (consulté le 13 novembre 2021)._

•_« L’US Air Force teste sa nouvelle bombe nucléaire B61-12 », sur_Radio-télévision belge de la Communauté française, 10 juin 2020 (consulté le 13 novembre 2021)._

•_https://fas.org/blogs/security/2021/12/fa-18_removed-from-fact-sheet/

•_AFP, « Les Etats-Unis lancés dans un programme de modernisation nucléaire controversé »,_La Libre.be,‎_6 novembre 2013.

•_ The U.S. Military’s Development and Testing of the B61-12 Tactical Nuclear Bomb; Why it is Cause for Concern in Russia and North Korea, https://militarywatchmagazine.com, 20 août 2017.

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Le nucléaire civil en France Contexte historique

Source : GSIEN, La Gazette nucléaire, No 290

Novembre 2018

Le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), créé en 1945 par le général de Gaulle est à l’origine des recherches et du développement du nucléaire civil et militaire en France.

La construction des premiers réacteurs électrogènes, fonctionnant à l’uranium naturel, modérés au graphite et refroidis au gaz, dits « UNGG», a débuté en 1957 dans le cadre du troisième plan quinquennal et le premier réacteur UNGG EDF1, d’une puissance de 70 MWe, a divergé à Chinon en 1962, suivi en 1963 du réacteur EDF2 d’une puissance de 210 MWe et en 1966, toujours à Chinon, du réacteur EDF3 de 480 MWe ; suivront d’autres réacteurs du même type à Saint Laurent des Eaux notamment.

Mais, en 1970, le programme nucléaire français est réorienté, la filière UNGG abandonnée, au profit de la filière américaine à uranium enrichi et eau sous pression (Réacteurs dits REP ou PWR) réputée plus performante ; il faut savoir qu’à cette époque la consommation d’électricité en France doublait tous les 10 ans et c’est pour y faire face, faute d’autres moyens de production, et dans un contexte de forte augmentation du prix du pétrole (choc pétrolier) qu’ont été mis en service dès 1978 des REP de 900 MWe puis à partir de 1990 de 1300 MWe. Il y en a 58 aujourd’hui, répartis sur 19 sites et qui produisent annuellement près de 400 térawatt/heure, soit 80 % des besoins français en électricité.

Leur combustible est de l’uranium enrichi à 3 ou 4 % ; il est produit à Pierrelatte dans la nouvelle usine qui utilise le procédé de séparation par centrifugation et qui remplace avantageusement l’ancien procédé de diffusion gazeuse : il est 20 fois moins énergivore.

Construits pour durer 30 ans, certains des 58 réacteurs du parc arrivent maintenant en fin de vie théorique et la nécessité d’une jouvence s’impose d’autant plus que croît la culture de sûreté qui fait suite aux accidents de Tchernobyl et de Fukushima  ; c’est dans ce contexte que le pouvoir politique a demandé à l’ASN d’effectuer un audit des centrales françaises ; l’ASN en a conclu que le niveau de sûreté des centrales était satisfaisant, et qu’il convenait néanmoins d’améliorer leur robustesse face à des situations extrêmes ; c’est dans ce cadre que l’EDF a décidé de lancer une série de travaux pour y faire face et pour permettre aussi de prolonger de 10 ans la durée des réacteurs ; à noter que le coût de ces améliorations, estimé à quelque 50 milliards d’euro, n’augmente le coût du KWh qui sera produit dans les 10 ans que de 1 ou 2 centimes d’euro. 

C’est en 2005 qu’il est décidé de s’orienter vers un nouveau réacteur : l’EPR. Il est à la fois plus puissant, 1650 MWH contre 1400 pour les plus puissants des REP existants, a un meilleur rendement et est programmé pour durer 60 ans. Le premier prototype est en construction à Flamanville, et sa mise en service, initialement prévue en 2012 est reportée en 2016 ; son prix, entre temps a presque triplé ! La construction d’un deuxième EPR à Penly, a, pour l’heure, été reportée.

Ce panorama serait incomplet sans l’évocation de la filière des réacteurs, dits à neutrons rapides (RNR), appelés aujourd’hui de 4ème génération et qui permettrait de brûler la quasi-totalité de l’uranium : cette filière a débuté en 1967 à Cadarache avec le réacteur Rapsodie et s’est pousuivie à Marcoule avec le réacteur Phénix de 250 MWe qui a été arrêté en 2010 après plus de 30 ans d’existence. Entre temps a été construit à Creys-Maleville en collaboration avec les Allemands et les Italiens, le réacteur Super-Phénix de 1200 MW ; il n’a que trop peu fonctionné et a été arrêté en 1998. A ce jour, la conception d’un nouveau réacteur RNR est en cours ; dénommé ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration), il doit permettre à la France de rester dans la course de la connaissance de ces réacteurs du futur ; son démarrage initialement prévu en 2020 a, d’ores et déjà, été décalé de 2 ans.

L’énergie nucléaire est une énergie du temps long.

De 1945 –1968

En septembre 1945, le général de Gaulle demande au directeur du CNRS Frédéric Joliot-Curie et à Raoul Dautry, alors ministre de la reconstruction et de l’urbanisme, de mettre en place un organisme de recherche consacré à l’énergie atomique.

Le CEA est créé le 18 octobre 1945 par Charles de Gaulle avec à sa tête Frédéric Joliot-Curie (haut-commissaire à l’énergie atomique) et Raoul Dautry (administrateur général). Cet organisme est destiné à poursuivre des recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie nucléaire dans les domaines de la science (notamment les applications médicales), de l’industrie (électricité) et de la défense nationale. Cet organisme est placé sous l’autorité directe de la Présidence du Conseil, ses finances ne faisant l’objet que d’un contrôle a posteriori par le ministère des Finances[5].

En janvier 1946 sont désignés les premiers membres du CEA : Pierre Auger, Irène Curie, Francis Perrin et le général Paul Dassault[6], qui seront rejoints quelque mois plus tard par Lew Kowarski, Bertrand Goldschmidt, Jules Guéron et Pierre Biquard. En juillet 1946, les premiers membres du personnel du CEA prennent possession du fort de Châtillon, premier centre de recherche du CEA situé à proximité de Paris. À la même époque, le CEA s’installe aussi dans une enclave de la Poudrerie du Bouchet pour effectuer les opérations de raffinage des concentrés de minerai d’uranium qui viennent d’Afrique[7]. L’uranium purifié dans l’usine du Bouchet est utilisé dans le fort de Châtillon (Fontenay-aux-Roses) pour constituer la pile Zoé, pile atomique à eau lourde construite par l’équipe de Joliot-Curie , qui diverge en 1948. L’année suivante est extrait le premier milligramme de plutonium du combustible usé de Zoé à l’usine du Bouchet.

Joliot-Curie, qui est membre du parti communiste français, lance l’appel de Stockholm contre la bombe atomique. En avril 1950, il est révoqué de son poste de haut-commissaire par Georges Bidault. Francis Perrin le remplace.

Après le départ de Joliot-Curie, le CEA intensifie ses travaux sur les applications militaires et civiles de l’énergie atomique. Même si le gouvernement n’a pas encore pris officiellement la décision de construire une bombe atomique, tout est mis en œuvre pour se doter des moyens de la construire.

En 1952, le centre d’études nucléaires de Saclay est ouvert sur un terrain de 271 hectares en plein plateau de Saclay, où cette même année sont mis en service le successeur de Zoé, le réacteur EL2 (Eau Lourde n°2), et le premier accélérateur de particule du CEA.

À Marcoule, sont successivement construits les réacteurs G1 (1956), G2 (1959) et G3 (1960) de type Uranium Naturel-Graphite-Gaz (UNGG). Une usine pour extraire le plutonium du combustible usagé est également construite et fonctionne à partir de 1958. Grâce à ces installations, la France peut réaliser son premier essai nucléaire dans le Sahara en 1960,«Gerboise bleue», seulement deux ans après que la décision officielle ait été prise.

En 1958, l’Usine militaire de Pierrelatte est construite pour l’enrichissement de l’uranium nécessaire à la fabrication de la bombe atomique.

1960 explosion de ma première bombe française à Reggane

À Chinon, le CEA et EDF collaborent à la construction des réacteurs EDF 1 (1962, 68 MW), EDF 2 (1965, 200 MW) et EDF 3 (1967, 500 MW) de type UNGG.

De 1968 à 1981 -CHOOZ-SENA 1969 REP de 350 MWé

En 1968, la première bombe H (bombe thermonucléaire ou à hydrogène) française explose à 600 mètres au-dessus de l’atoll de Fangataufa, dans le Pacifique. Sa puissance équivaut à 170 fois celle d’Hiroshima.

La guerre des filières de réacteurs oppose le CEA et EDF : le premier est partisan de la filière française Uranium Naturel Graphite Gaz tandis que le second défend la filière des réacteurs à eau pressurisée (Pressurised Water Reactor) du constructeur américain Westinghouse. En novembre1969, le gouvernement tranche en faveur d’EDF et décide la construction d’une centrale à eau pressurisée à Fessenheim.

En 1973, la première centrale prototype réacteur nucléaire à neutrons rapides et à caloporteur sodium Phénix est mise en service à Marcoule.

En 1976, le gouvernement français passe commande de Superphénix.

En février 1979 est mis en service l’usine Georges Besse au Tricastin, afin d’enrichir l’uranium nécessaire à la production de combustible pour les réacteurs électro-nucléaires.

De 1981 à 1984 : naufrage du Mont Louis au large des côtes Belges. Transport d’UF6 en direction de l’Union soviétique

En 1985, la centrale nucléaire de Brennilis, prototype modéré par l’eau lourde, est arrêtée définitivement, tandis que le réacteur à neutrons rapides superphénix diverge après 10 années de construction

En 1985, le Rainbow Warrior, bateau de l’organisation écologique « Greenpeace », explose dans le port d’Auckland en Nouvelle-Zélande. « Greenpeace » préparait une campagne contre les essais nucléaires français dans le Pacifique.

Le 27 janvier 1996 est lancé le dernier essai nucléaire français à Fangataufa.

Le 24 septembre 1996, la France signe le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires et commence immédiatement à démanteler le Centre d’expérimentations du Pacifique.

En 1997, le gouvernement français annonce que Superphénix sera abandonné.

En 2001, la filiale CEA Industries fusionne avec Framatome et la Cogema pour former un nouveau groupe dénommé Areva.

En 2007, le Genoscope et le Centre national de génotypage sont rattachés au CEA au sein d’un nouvel institut dénommé Institut de génomique[8].

Début 2009, Le CEA, Intel, le GENCI et l’Université de Versailles Saint Quentin annoncent la création d’un laboratoire commun, Exascale Computing Research, dédié aux logiciels pour les supercalculateurs de prochaine génération dont la puissance devrait atteindre l’exaflops (1000 petaflops)[9].

Le 14 décembre 2009, dans son discours sur le Grand emprunt, le Président de la République Nicolas Sarkozy annonce que le CEA doit devenir le « Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives »[10] en réponse à une suggestion de la commission Juppé-Rocard qui préconisait la création d’une Agence pour les énergies renouvelables. Cette décision traduit la volonté de l’exécutif d’équilibrer les efforts de recherche entre le nucléaire et les énergies renouvelables, selon la règle affichée du « un euro pour le nucléaire, un euro pour la recherche sur les énergies renouvelables ».

 Le GSIEN 

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