par Hugues HENRI
Academia, mars 2024,
https://www.academia.edu/116768336
Nucléaires civil et militaire indissociables ?
D’après Courant Alternatif numéro 338 – Info libertaire
« Courant Alternatif de mars 2023 abordait la question du nucléaire en
France avec entre autres le projet de fusion de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire,
500 salariés de droit public) et de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté
Nucléaire, 1700 salariés de droit privé) projet voulu par Macron. Celui-ci avait
imposé cette idée lors d’un conseil de politique nucléaire à l’Élysée, tenu à huis
clos, en février 2023.
EDF, la majorité et toutes les droites avaient applaudi car lancer au plus vite
et sans contestation la construction des EPR2, des SMR (Small Modular Reactor,
ces projets disruptifs portés par des start-upers aux dents longues) et prolonger
l’activité de nos (très) vieilles centrales nucléaires était des priorités politiques,
énergétiques et économiques et patriotiques exaltantes.
Le projet de loi a été adopté le 13 février par le Sénat malgré l’opposition de
l’intersyndicale des personnels de l’IRSN qui dénonce une loi qui « déstabilisera
durablement le système de gouvernance des risques nucléaires ». La fusion devra
être effective le premier janvier 2025. Le nouvel organisme prendrait le nom
d’Autorité Indépendante de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (AISNR).
Pourquoi tant de hâte ?
Pourquoi tant de hâte ? C’est qu’avec la loi d’accélération du nucléaire le
temps est compté. Lorsqu’on fusionne deux organismes avec des activités, des
projets, des cultures et des statuts différents il se produit un vaste bordel qui fait
régresser la nouvelle organisation au lieu de l’améliorer. C’est un classique de la
sociologie des organisations.
Pour réduire cette « période transitoire, par nature délicate [qui] ne saurait
être concomitante avec la phase opérationnelle des nouveaux programmes
attendus… » il fallait que tout soit bouclé au plus vite ce « qui ouvre pour une
éventuelle réorganisation, une fenêtre d’opportunité relativement étroite sans doute
d’ici fin 2024. »
Si l’on traduit le jargon parlementaire, pour que tout se passe le moins mal
possible pour l’État-EDF il faut que tout soit verrouillé avant la fin de l’année afin
que les projets puissent s’engager. Un cadre« fluidifié » avec un interlocuteur
unique, l’ASN++, des procédures simplifiés et des délais raccourcis sans contrôle
ni contestation possible en interne, voilà le projet. Il faudra quand même expliquer
comment EDF et ses prestataires pourront avoir un interlocuteur unique quant une
partie des salariés passera sous la coupe du CEA et du ministère des Armées…
Comme EDF avait déjà anticipé la fabrication de pièces vitales pour l’EPR2
de Penly avant la fin du débat public (octobre 2022-février 2023), avant le vote de
la loi de relance du nucléaire et sans en informer l’ASN, fallait sécuriser la manip.
Un coup d’ASAP et vogue le Titanic de la sûreté nucléaire, tout est simplissime en
Nucléocratie.
Il y a bien quelques grumeaux dans le potage. Ainsi, plus de la moitié des
effectifs du service de l’IRSN chargé de « prévenir les actes de malveillance et de
terrorisme dans le nucléaire civil. » ont démissionné de leur poste après avoir
appris que la réforme allait les mettre directement « à la disposition du ministère
des Armées ».
À la disposition du ministère des armées ?
C’est sûr qu’avec des généraux et le secret-défense, l’information et la
protection des populations seront dans de bonnes mains d’autant que les futurs
avis de l’IRSN ne seront plus publiés en temps réel mais plusieurs semaines, mois,
années (?) après leur réalisation…
On constate par ailleurs qu’une épidémie kaki et militariste gagne le nucléaire
dit civil.
À Cadarache (pas d’activités militaires), un général remplace l’ingénieur civil
à sa tête. Idem à Saclay. En 2021, « EDF a confié à… l’amiral Jean Casabianca,
l’inspection générale de la sûreté de ses sites nucléaires. » Idem chez ORANO (ex
Areva). La « délégation interministérielle du renouveau du nucléaire (cad les
EPR2) » « est dirigé par l’ingénieur de l’armement cinq étoiles Joël Barre » et le
superviseur des chantiers des nouveaux EPR est Hervé Guillou, ex-patron de
Naval Group, la société nationale qui construit les navires de la Marine Nationale.
Et, lors du conseil de politique nucléaire du 3 février 2024, les décisions ont
été prises sur la base d’un rapport rédigé par un « civil qui a longtemps dirigé le
département des applications militaires du CEA. », un mec fiable, quoi.
Nucléaire géré par Bercy ?
Le tableau ne serait pas parfait si on oubliait que l’actuel ministre de
l’Économie vient de récupérer dans son portefeuille l’ensemble de la politique
énergétique dont le nucléaire. Fini le ministère de la « transition énergétique ».
Bonjour au nucléaire piloté par l’administration du Trésor dont on connaît
l’humanisme discret appris à l’ENA.
Ces deux éléments montrent bien la volonté étatique de mettre sous le
boisseau toute contestation interne (en attendant d’écraser celle externe ?) et de
contrôler l’ensemble du secteur nucléaire sans même faire semblant de jouer la
carte de la fiction démocratique.
En ce début de 21ème siècle on assiste au retour en force (désespéré ?) de
l’État-EDF et de l’État-CEA des années 1950-1990, pour tenter d’imposer une fois
de plus dans l’opacité un programme nucléaire gigantesque mais totalement
branlant (au plan financier, économique, technique et énergétique) aux cochons de
citoyens. Citoyens que l’on tente d’apeurer, d’insécuriser, de réprimer et de
tétaniser en permanence face à ce qui se met en place.
Cette dérive autoritaire menée par des micro-milieux sociaux élitistes
marqués par un entre-soi techno-bureaucratique montre bien que l’État c’est eux !
Et qu’ils sont nos pires ennemis…
SMR : miroir aux alouettes nucléaires ?
NuScale est la société états-unienne phare dans les SMR (Small Modular
Reactors, Petits réacteurs nucléaires modulaires). Cette start-up conquérante vante
ses formidables réalisations qui n’ont pas dépassé le stade des études théoriques.
Les deux seuls SMR fonctionnant actuellement sont des démonstrateurs bien loin,
un en Russie, l’autre en Chine. Elle occupe, avec un storytelling plutôt efficace,
l’espace médiatique et financier du business des SMR gavés aux fonds publics
(600 M de $ depuis 2014 et 1,5 milliard pour son projet Utah rien que pour
NuScale).
Malheureusement dans sa course effrénée à la recherche de capitaux elle a
poussé ses pions « … aux limites du mensonge pour accaparer les financements
(la société fait l’objet d’un enquête après qu’un rapport de vente à découvert ait
allégué qu’elle avait vendu 24 réacteurs à un ‘faux client’ (une entreprise de
cryptomonnaies) bien incapable de les financer ».
De plus, afin de dissimuler les coûts réels de fonctionnement de son
hypothétique SMR, NuScale a omis dans ses projets, les « … structures de
confinement étanches et systèmes de sécurité de secours… fiables. [le projet] ne
disposait également que d’une seule salle de contrôle pour 12 unités de réacteur
[produisant chacun 60 mégawatts d’électricité] ». La Commission US de
réglementation nucléaire (NRC) exigeait elle, une salle de contrôle pour 2
réacteurs. Elle a aussi tenté de « … contourner les réglementations de sécurité
critiques, notamment les exigences relatives aux plans d’intervention d’urgence
hors site pour protéger les communautés voisines. »
Un malheur ne venant jamais seul, son action a dévissé de plus de 33 %
début 2024, après qu’elle ait été obligée d’abandonner son projet phare, celui de
l’Utah Association of Municipal Power Systems « passé de 3,6 milliards de dollars
pour 720 mégawatts en 2020 à 9,3 milliards de dollars pour 462 MW en 2022. » ce
qui a provoqué le départ de nombreuses municipalités de l’Utah attirées par cette
fumeuse énergie « décarbonée » à bas prix, mais passée de 58 à 89 £ le kWh en
une année.
SMR « à la française ? »
Le SMR semble être en France le « Graal des nucléocrates », privés ou
étatiques. Un milliard d’€ a été attribué à la recherche sur ceux-ci dans le cadre du
plan France 2030. Cela fait saliver et plusieurs projets qui ont pour caractéristique
commune leur stade embryonnaire (malgré le blabla qui entoure leurs
« avancées ») se tirent la bourre.
Le moins mal parti est NuWard. Regroupant TechnicAtome, le CEA,
Naval Group et EDF. Le projet est basé sur « deux unités de 170 MW couplées et
pilotées par une unique salle de commande » et s’appuie « sur le retour
d’expérience du projet de propulsion des sous-marins nucléaires d’attaque
Barracuda ». Il s’agit donc de réacteurs classiques à eau légère. 170 millions d’€
supplémentaires lui ont été attribués pour la recherche dans le cadre du plan de
relance 2020.
Les autres projets, « dits de 4ème génération, caractérisés par des liquides
de refroidissement alternatifs (métal liquide, gaz, sels fondus) » sont portés par des
start-ups qui espèrent devenir des « licornes » capitalistes.
Hexana, Stellaria (toutes deux issues du CEA), Jimmy Energy, Naarea,
Transmutex, Renaissance Fusion, mais aussi Newcleo, Calogena, Otrera Nuclear
Energy, Blue Capsule prétendent vendre du super-innovant, du rapide et de
l’efficace.
En réalité c’est très, très « oldschool » car les technologies rappellent
furieusement les surrégénérateurs Phénix (arrêté), Super Phenix (abandonné suite
à divers accidents) et Astrid (programme arrêté par Macron en 2019).
xxxf rien s’ajoute tout le reste, comme le montre bien Bernard Laponche qui
analyse et critique les récents propos du directeur de l’ASN de janvier 2024.
Les SMR doivent être soumis aux mêmes règles que les réacteurs classiques pour
les « enjeux de sûreté, de sécurité et de non-prolifération… » même si certains
SMR innovants « présentent des caractéristiques intrinsèques de sûreté
potentiellement prometteuses ».
Lesquelles ? La sécurité dite « passive ». Or, « Parler de sûreté passive peut
être rassurant pour le public, mais d’un point de vue technologique ou de
probabilités, il n’y a pas d’avantage en soi à la sûreté passive par rapport à la
sûreté active, précise Renaud Crassous, le président de Nuward… » Si c’est eux
qui le disent…
« L’utilisation de SMR en France ne présenterait pas grand intérêt pour la
production d’électricité au vu de l’importance du parc actuel des centrales d’EDF et
des projets annoncés. » Pour EDF l’espoir c’est l’exportation avec tous les risques
de prolifération nucléaire mondiale ET le marché intérieur car les « SMR pourraient
être très utiles pour la production de chaleur ou de vapeur pour les industries de
process (industrie papetière, agroalimentaire, chimique, etc.) »
Intégration industrielle des SMR ?
Problème : « Il faudrait alors implanter le réacteur SMR très près de
l’installation industrielle ou même, d’après l’ASN, à l’intérieur de cette installation. »
Cela rendrait ces installations intrinsèquement doublement dangereuses car « on
ne peut pas admettre la présence d’une installation nucléaire de base, contenant
des matières hautement radioactives au sein d’une installation industrielle
classique, de type ICPE dans laquelle une situation accidentelle grave (AZF,
Lubrizol) pourrait endommager l’unité SMR et transformer l’accident en
catastrophe. »
Pour être rentable, la filière SMR doit être industrialisée, standardisée et
produire beaucoup. Il faut des centaines de clients privés, dispersés sur tout le
territoire. Or « l’ASN et l’IRSN portent une très grande attention aux « agressions
extérieures » d’origine naturelle ou malveillante. Que deviennent ces
préoccupations… sur des emplacements… dont l’emplacement a été choisi hors de
toute préoccupation de sûreté et sécurité nucléaires ? »
Les réacteurs dits innovants posent eux des tas de problèmes encore
inconnus. Quel sera leur comportement en conditions normales, ou en cas
d’accident ?
Il n’existe aucune information sérieuse sur les coûts réels de cette future
filière qu’il s’agisse de la conception, de la construction, l’exploitation (ils seront
déjà plus gourmands en main-d’oeuvre que les centrales classiques), des
combustibles (fabrication et retraitement), comme du démantèlement et de la
gestion des déchets.
C’est simple, avec les SMR on retourne à l’âge d’or de la nucléocratie
française où toutes ces questions avaient été planquées et niées.
SMR privatisés ?
Dernier élément inquiétant : l’apparition de nouveaux acteurs privés « très
ambitieux, qui veulent que ça aille vite », au point d’inquiéter l’ASN. « Nous avons
devant nous des vendeurs, qui n’ont pas toujours la maturité technologique
suffisante et qui ne voient pas le sujet de manière globale, expliquait-il. Nos
interlocuteurs n’ont en tête que très rarement ce qui est lié au cycle du
combustible : souvent, ils nous présentent des projets avec des combustibles qui
n’existent même pas, qui sont à un niveau d’enrichissement extrêmement élevé et
pourraient poser problème en matière de prolifération. Et ils ne se préoccupent pas
des déchets. »
La finalement très vieille Start-up Nation présidentielle renoue sans complexe
avec les principaux éléments du très vieux crétinisme criminel originel du
programme nucléaire français des années 70. Ils en reprennent tous les éléments
en accéléré pour mettre en place un système aussi – voire plus – dangereux qui
s’ajoutera aux dangers de l’actuel. Cela en s’appuyant sur l’irresponsabilité, la
cupidité, l’arrogance du nouveau capitalisme des start-upers qui avec leurs barbes
bien taillées, leurs pantalons et liquettes près du corps, n’ont qu’une devise « prend
l’oseille et tire-toi ».
Le SMR qui rassure ?
D’après Le Canard enchaîné
La France sera-t-elle couverte demain de mini-réacteurs nucléaires ? Il y en
aura des centaines, dit-on chez les nucléocrates. Des tas de Start-up sont sur le
coup, très douées pour la com’ comme on l’a vu plus haut. On veut aller très vite,
y’a plein de sous à se faire : Macron a mis un milliard d’euros de subventions sur la
table, dans son fameux plan « France 2030 ».
La Start-up Jimmy qui a été créée il y a quatre ans par un polytechnicien et
une diplômée d’HEC, a déjà reçu 32 millions d’euros. Elle promet de mettre en
service le 1 et SMR français d’ici à la fin 2026 : un magnifique réacteur de 20 m3
qui fournira 20 MWth ( mégawatts thermiques). Jimmy dit avoir embauché 70
spécialistes et promet de passer à la production en série de SMR en créant 300
emplois dans une usine de générateurs qui devrait sortir de terre au Creusot selon
Les Échos du 15/02/2024.
Mais actuellement seuls quatre SMR fonctionnent dans le monde, 2 en
Chine, 2 en Russie. Une centaine de projets sont en route, mais aucun n’avance
réellement. EDF qui s’est mise sur les rangs avec sa filiale Nuward, compte faire
tourner son 1er prototype d’ici à onze ans, or le but affiché dans France 2030 est
de décarboner le plus vite possible.
Acceptabilité des SMR ?
Justement, pour décarboner, donc approvisionner les usines en chaleur et
électricité grâce aux mini-réacteurs nucléaires, il faut les installer à proximité de ces
usines, donc dans les zones industrielles ou juste à côté. Là où beaucoup de gens
ont leur pavillon et leur jardin. Certes la majorité des Français a oublié Fukushima,
et d’après les sondages’ 46% d’entre eux font confiance au nucléaire, un niveau
record jamais atteint auparavant. Mais que se passera-t-il quand les SMR
débarqueront aux portes des agglomérations françaises ?Les riverains
applaudiront-ils des deux mains ? Se réjouiront-ils d’habiter à deux pas d’un truc
tout à fait nouveau, tout beau, mais hautement radioactif et dangereux ? Fort
attractif pour des terroristes de passage ?
C’est seulement maintenant que les amis du nucléaire, prompts à refuser les
éoliennes qui polluent le paysage, vont prendre conscience des risques induits par
la proximité des SMR. Bernard Dorosczuk, président de l’ASN, le gendarme du
nucléaire, a ainsi évoqué le 30 janvier 2024, ce « sujet majeur d’acceptabilité »,
qu’il faut traiter avec beaucoup d’attention car « il existe un risque que ces projets
de SMR rencontrent des oppositions ». Depuis fleurissent des articles dans la
presse qui évoquent le défi que constitue cette acceptabilité des SMR. Le Canard
ironise sur la probabilité de voir paraître de belles campagnes de propagande
destinées à nous convaincre que « vivre à côté des SMR’ c’est aimer la planète et
se montrer éco-responsable ? »
Ces questions d’acceptabilité auraient dû être posées au préalable lors du
« Débat national sur le nucléaire » qui a avorté en 2023 à cause de
l’empressement du gouvernement d’Elisabeth Borne à faire passer les lois de «
facilitation et d’accélération de la relance nucléaire ». Malheureusement, il n’en a
pas été question, mais l’opposition future des riverains à l’installation de SMR
proches de leur domicile est quasi certaine, trop tard pour entamer un débat de
fond sur cette relance du nucléaire hélas ! Par ailleurs, les malheurs de l’EPR de
Flamanville continuent :
Tout proche de sa mise en service, l’EPR de Flamanville accuse un nouveau retard
Le feuilleton interminable de l’EPR de Flamanville continue. La fin de
l’examen de l’EPR de Flamanville (Manche) par l’Autorité de sûreté nucléaire
approche. Mais les délais de consultation publique préalable à sa mise en service
ne vont pas permettre à EDF de tenir son calendrier.
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a fait savoir mardi qu’elle était en train
d’achever l’examen de l’EPR de Flamanville (Manche) et qu’elle soumettrait
prochainement à consultation du public un projet d’autorisation de mise en service
du réacteur, une procédure qui ne peut pas durer moins de deux semaines.
Ce calendrier implique de fait un nouveau retard du projet réalisé par EDF,
qui prévoyait de charger le combustible avant la fin du mois de mars, indique
Reuters. En début d’année, l’ASN avait alerté – à raison – sur un calendrier « tendu
et sans marge de manoeuvre » pour un démarrage de l’EPR de Flamanville début
avril.
L’ASN en passe de boucler l’évaluation de la chaudière
L’électricien public n’a pas souhaité commenter ces informations. Dans ses
indications au marché, le chargement du combustible nucléaire est toujours prévu
en mars 2024, et le raccordement au réseau mi-2024.
Dans une réponse écrite à des questions de Reuters, l’ASN a précisé qu’elle
était également en train d’achever l’évaluation de conformité de la chaudière de
l’EPR et qu’elle ne pourrait donner son autorisation à la mise en service du
réacteur – dont EDF doit disposer avant de charger le combustible – moins de trois
jours après la fin de la consultation publique.
Estimé à trois milliards d’euros lors de son annonce en 2004, l’EPR de
Flamanville devait initialement entrer en service en 2012, mais des difficultés à
répétition sur le chantier ont entraîné de multiples retards et surcoûts du projet,
réévalué à 13,2 milliards d’euros selon les dernières indications en date fournies
par EDF, fin 2022, mais l’ardoise s’est encore alourdie depuis. De plus, le coût
estimé pour la construction des six EPR-2 a été revu à la hausse passant de 55
milliards d’euros à 67 milliards d’euros. Ce n’est pas fini, car celui des EPR
d’Hincley Point a lui aussi été revu à la hausse et cela remet en question le choix
injustifié de l’EPR qui se caractérise enFrance, et ailleurs, par des surcoûts
énormes et des retards conséquents dans la mise en route et le raccordement au
réseau comme on l’a vu en Chine et en Finlande. Rappelons enfin, l’extrême
dépendance de la France à la Russie pour son approvisionnement en uranium
naturel et enrichi.
Offensive des USA contre la collaboration EDF/ROSTOM ?
D’après Le Canard enchaîné du 27 mars 2024.
À Washington, les « trumpistes » se préparent à faire passer une proposition
de loi pour convaincre Framatome et EDF à couper tout lien avec la société
étatique russe ROSTOM, panique chez les nucléocrates tricolores.
C’est ce qu’affirme une note adressée au Quai d’Orsay à la mi- février 2024,
par l’ambassade de France à Washington. À la Chambre des Représentants, le
parti républicain a fait adopter une proposition de loi pour « affranchir les pays
occidentaux de tout lien avec la Russie dans le nucléaire civil ». Sauf les USA, qui
dépendent à 30% de l’uranium enrichi venu de Russie.
Réactions déchaînées
À la manoeuvre, une certaine Katherine Earle, ex- responsable de la
Commission des Affaires étrangères à la Chambre. Elle a posé des questions sur
« une éventuelle dépendance de l’industrie nucléaire française à l’égard de
l’industrie russe, en particulier sur le volet cycle du combustible. Elle a demandé
des précisions sur la co-entreprise Framatome-Rosatom, destinée à fabriquer du
combustible nucléaire pour les réacteurs nucléaires de conception soviétique
VVER. Elle voulait notamment savoir si l’accord prévoyait le versement de royalties
et les raisons pour lesquelles cette entreprise n’avait pas été dissoute depuis le
début de l’invasion russe en Ukraine ».
Au sein de la direction de Framatome, ce câble diplomatique a fait l’effet
d’une bombe à fragmentation. Car cette entreprise publique dont EDF détient 80%
du capital, conçoit des centrales nucléaires et fournit des chaudières et des
combustibles nucléaires. La missive a produit un gros effet à Matignon, informé le
28 février 2024: la proposition de loi US a en effet des chances d’être adoptée et
l’entreprise française risque de se retrouver ainsi pénalisée au titre de
l’extraterritorialité de la loi US.
En effet, le gouvernement US de Jo Biden promet pareillement des mesures
de rétorsion touchant Rosatom et la série de sanctions récemment annoncée
contre l’économie russe est la plus importante depuis l’attaque russe en Ukraine.
Oukase yankee ?
Que se passerait-il si la France refusait cet oukase des USA ? Une façon de
punir Framatome serait de l’empêcher d’encaisser l’argent versé par Rosatom, ou
de priver Framatome de ses personnels américains, voire de s’en prendre à
Framatome Inc, filiale installée aux USA.
De plus, si la co-entreprise Framatome/Rosatom était ainsi neutralisée, son
rival américain direct, Westinghouse se retrouverait seul en piste pour
approvisionner en combustible compatible les réacteurs nucléaires des pays
d’Europe de l’Est de conception soviétique. Le marché représente un milliard
d’euros pour Framatome, qui avec son partenaire russe possède des contrats de
fourniture de combustible nucléaire en Bulgarie et en République
tchèque.Westinghouse pourrait empocher d’autres contrats comme celui de la
centrale nucléaire de Paks en Hongrie.
Joint par le Canard, le Quai d’Orsay réfute l’idée d’une guerre économique
avec les USA : « des concertations se tiennent avec nos alliés américains sur la
mise en place d’offres industrielles et commerciales permettant de se substituer à
l’offre russe. Framatome développe une solution en propre avec un objectif de
fournir du combustible nucléaire VVER pour 2030 ». En attendant, si Trump
parvient au pouvoir, Framatome a du souci à se faire, face à Westinghouse, même
si, ironie de l’histoire, les USA continueront d’acheter 30% de leur uranium enrichi à
Rosatom.
Véritable dépendance française de Rosatom ?
C’est une vérité qui dérange le discours officiel français : nos centrales
nucléaires françaises ne peuvent pas turbiner sans l’uranium enrichi russe. Chaque
année EDF a besoin de 1030 tonnes de ce combustible pour alimenter les 56
réacteurs nucléaires existants et ce besoin va s’accroître avec la relance nucléaire
en France et la construction de 14 EPR-2 et celle des SMR prévus.
Or la France achète un tiers de son uranium enrichi à Rosatom, comme
l’avait révélé le Canard du 7/12/2022, tout comme les USA pour faire fonctionner
leurs 93 réacteurs nucléaires. Si Rosatom reste le leader mondial du marché c’est
grâce à ses énormes centrifugeuses héritées de l’Union soviétique, capables
d’enrichir l’uranium à prix cassé. Notons de plus, que la France se fournit en
uranium naturel kazakhe et ouzbek qui est contrôlé par Rosatom pour son
extraction et son transport.
Comme quoi, la France est quasi pieds et poings liés à Rosatom, car elle a
perdu ses mines au Mali et le contrat d’extraction d’uranium naturel signé par
Macron avec le gouvernement de Mongolie extérieure ne peut suffire d’autant plus
que ce pays est enclavé entre Chine et Russie donc soumis aux aléas et pressions
de ces deux pays. D’autres aléas et accidents surviennent aussi dans la production
d’énergies renouvelables et leur stockage, domaine dans lequel la France est très
en retard par rapport à ses voisins européens :
Incendie d’usine de batteries au lithium ?
Depuis samedi 17 février 2024, un important incendie ravage le dépôt de la
Snam (Société nouvelle d’affinage des métaux) spécialisé dans le recyclage des
batteries au lithium à Viviez, près de Decazeville (Aveyron). 900 tonnes de batteries
brûlent, explosent et répandent des fumées hautement toxiques aux alentours.
Il risque de durer un bon moment, malgré les discours se voulant rassurant des
assurances et des officiels. Or, depuis l’incendie il y a un an, à Grand-Couronne
d’un site de batteries de Bolloré Logistics, ces discours lénifiants sont loin de
rassurer les riverains. En toute objectivité, l’industriel Bolloré n’est pas réputé pour
ses succès dans ce domaine, qu’on se souvienne du fiasco parisien de ses
voitures électriques en libre disposition « Autolib ». L’incendie de son parc de
batteries à Grand-Couronne a laissé un mauvais souvenir et celui de Decazeville
tout autant néfaste n’est pas destiné à rehausser sa réputation déjà entamée. Nous
avons les industriels « greenwashing » que nous méritons en France, lanterne
rouge européenne des énergies renouvelables !
Conclusions
Comme on le voit, les choix de relance du nucléaire imposés par Macron se
heurtent à de nombreuses difficultés : la filière EPR souffre toujours autant de ses
problèmes continuels de surcoûts phénoménaux et de ses retards accumulés et ce
n’est pas fini, puisque 14 EPR-2 doivent être construits d’ici 2045, si tout va bien …
Les nombreux SMR ( petits réacteurs nucléaires modulaires) qui devraient euxaussi
être construits pour décarboner l’industrie n’existeront pas avant une
décennie et posent le lourd problème de leur acceptabilité par les futurs riverains
de leurs installations proches des usines et des zones densément peuplées.
Le combustible nucléaire nécessaire aux 56 réacteurs nucléaires existants et
aux 14 futurs EPR-2 et aux nombreux futurs SMR dépend en grande partie de la
société d’Etat russe Rosatom qui rend la France très dépendante de la Russie. Les
USA veulent la priver de cette ressource indispensable par un projet de loi en voie
d’adoption qui remet en cause la co-entreprise Framatome/Rosatom pour la
fourniture de combustible nucléaire pour les centrales nucléaires d’Europe de l’Est
et vise à exclure l’uranium russe par des sanctions nouvelles.
Comme il est loisible de le constater, la relance nucléaire française est
lourdement handicapée par tous ces freins et obstacles de tous ordres. Né
voudrait-il pas mieux de changer notre fusil d’épaule et de développer les énergiesrenouvelables plus sûres, moins coûteuses et plus rapides à mettre en oeuvre ?