Interview de Jean-Pierre Petit, physicien des plasmas
Ancien Directeur de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique
Décembre 2015
Deuxième partie
APAG2 : Quel est votre point de vue sur la politique française actuelle en matière de nucléaire ?
J.-P. PETIT: Vous vous rappelez les propos de Sarkozy : “c’est le nucléaire ou le retour à la bougie”. Je m’inscris totalement en faux vis-à-vis d’une telle position. C’est nier tout progrès scientifique. Ceux qui ont lu ce que j’écrivais dans mon site savent qu’il y a d’autres voies, par exemple celle de la fusion aneutronique, devenue envisageable quand en 2005 une température de plus de trois milliards de degrés a été obtenue au laboratoire Sandia, aux Etats-Unis. Tout à fait par hasard d’ailleurs.
APAG2 : Le hasard joue un rôle dans la plupart des grandes avancées scientifiques. Mais revenons à ma question.
J.-P. PETIT: Il ne s’agit pas que de la politique française dans ce domaine. C’est une remise en cause totale de l’électronucléaire en général. Actuellement vous savez que la Chine a d’énormes problèmes en matière de pollution de l’air. Ce pays tire principalement son énergie du charbon, comme l’Allemagne, du reste. Or, le charbon chinois est d’une qualité médiocre et sa combustion, très incomplète, génère un maximum de déchets. Donc l’électronucléaire apparaît à la Chine comme une solution incontournable, étant donné l’urgence des besoins de la Chine. Dans des villes comme Pékin, la pollution atteint les limites du supportable. Malheureusement, pour la Chine aussi, le nucléaire n’est qu’un palliatif temporaire; les problèmes, repoussés dans le temps constitueront l’héritage empoisonné des générations à venir.
APAG2 : Vous voulez parler des déchets.
J.-P. PETIT: C’est un problème immense, pour lequel on propose des solutions aberrantes, centrées sur l’enfouissement.
APAG2 : Ce qui revient à reléguer cet héritage beaucoup plus loin encore dans le temps.
J.-P. PETIT: Fondamentalement, il n’y a pas, dans l’état actuel de la science, de nucléaire sans déchets. L’ennui, c’est que la gestion de ces derniers pose des problèmes insolubles.
APAG2 : Il n’y a pas de bonnes solutions ?
J.-P. PETIT: Non. Cela fait penser, dans le domaine financier, aux “Pyramides de Ponzi”, appelées aussi “traites de cavalerie”, système dans lequel les revenus versés aux investisseurs sont prélevés sur les capitaux confiés par les nouveaux déposants. Dans le domaine du nucléaire, l’électricité fournie a comme contrepartie camouflée des déchets qui devront impérativement être gérés pendant des milliers d’années, sous peine d’empoisonnement létal de l’environnement. De toute manière, aujourd’hui l’essor industriel se traduit par un problème de santé publique, dans de multiples domaines. Je cite un exemple. Tous les pays produisent et utilisent des objets en matière plastique. Ceux-ci ne se dégradent pas avec le temps. Le métal, le bois, si. Mais une simple bouteille de plastique peut cheminer pendant des décennies, entraînée dans le monde entier par les courants océaniques. Alors le rayonnement ultra-violet rend ce plastique cassant. Ainsi les débris de plastique sont-ils transformés en une masse de mini-débris, dont beaucoup ne sont même pas visibles à l’œil nu. Ils seront donc totalement intégrés à la chaîne alimentaire, y compris à partir du zooplancton et, de fait, se retrouveront dans nos assiettes, avec tous leurs composants cancérigènes.
APAG2 : On en revient à un problème écologique.
J.-P. PETIT: Encore aujourd’hui le mot écologie évoque encore souvent dans le public une population d’idéalistes complètement hors des réalités alors que c’est le problème fondamental, central, de l’humanité, le problème de sa qualité de vie, lié à la dégradation de son environnement. Le nucléaire est une des composantes du problème, mais il risque fort de devenir un jour sa composante essentielle.
APAG2 : Il implique les risques d’accidents majeurs, l’impossibilité de démanteler les installations existantes et le problème insoluble des déchets.
J.-P. PETIT: Un centre industriel nucléaire est foncièrement différent d’un complexe de l’industrie chimique. Si on veut arrêter et démanteler une installation industrielle mettant en oeuvre la chimie, c’est toujours plus ou moins faisable, en y mettant le prix. In fine, les substances chimiques les plus toxiques peuvent être décomposées en les portant à haute température. Bien sûr, certains composants de base, comme des métaux lourds, subsisteront dans les résidus. Les déchets nucléaires diffèrent des déchets chimiques en premier lieu par ce qu’ils sont systématiquement agressifs. On ne peut pas s’en approcher, à cause du rayonnement qu’ils émettent. En second lieu, ils diffèrent des déchets chimiques par la durée de leur dangerosité qui excède celle de l’histoire humaine que l’on estime à 6’000 ans. Enfin ces déchets se révèlent mortels à l’échelle d’infimes poussières qu’on peut inhaler ou ingérer, l’exemple type étant le plutonium. Le troisième aspect que l’on doit prendre en compte est le fait que ces effets mortifères peuvent n’apparaître que bien des années après que l’agent cancérigène a été intégré au corps humain. Enfin il existe un quatrième aspect. Il y a des situations, et le premier exemple est celui de Fukushima, où les hommes se sont avérés totalement incapables de circonscrire les effets d’un accident nucléaire en matière de diffusion des déchets, dans les nappes aquifères et l’océan.
APAG2 : Un phénomène issu de la fusion des cœurs. C’est le syndrome chinois.
J.-P. PETIT: J’y reviendrai plus loin. Les deux derniers points se réfèrent au caractère diffus et insidieux de cet empoisonnement à échelle planétaire.
APAG2 : Le caractère différé de la contamination radiologique permet de masquer ses effets thanatogènes en niant toute implication d’une pollution issue du nucléaire.
J.-P. PETIT: Un certain nombre des lecteurs de ces lignes ont peut-être été confrontés au développement d’un cancer. C’est une maladie aux conséquences souvent atroces, dont la détection peut se révéler très tardive. Aux ardents partisans du nucléaire on devrait poser la question “êtes-vous favorables, sans réserve, à une technologie pouvant entraîner chez les êtres humains, vos contemporaines ou vos descendants, pareilles souffrances ?”.
APAG2 : Le refus de se poser cette question a permis un développement anarchique de cette technologie.
J.-P. PETIT: Au départ, cette pollution était liée aux expérimentations d’armes atomiques dans l’atmosphère. Il a fallu du temps avant que des hommes aient un sursaut de lucidité. Je vais donner deux exemples. A la fin des années cinquante les Américains avaient une certaine avance sur les Soviétiques en matière d’armes nucléaires. Les Russes envisagèrent de rattraper ce retard en créant l’arme thermonucléaire la plus puissante qui puisse être livrée sur sa cible par avion. On confia cette tache au physicien Andréi Sakharov.
Celui-ci, qui avait déjà conçu la première bombe thermonucléaire soviétique, conçut et réalisa ce nouvel engin en seulement quatre mois. Cela donna naissance à ce qu’on appela plus tard la Tsar Bomba. Le principe était celui d’une bombe dit “FFF”, ce qui signifie fission-fusion-fission. Un engin à trois étages.
La Tsar Bomba russe. 27 tonnes, 57 mégatonnes de TNT (1961)
APAG2 : Rappelez-nous ce principe.
J.-P. PETIT: Au cœur de ce dispositif il y avait un engin à fission, une sphère creuse de plutonium 239 , d’une quinzaine de kilos, qu’on faisait imploser sous l’action d’explosifs disposés en périphérie. Le fort rayonnement X émis provoquait alors la fusion au sein d’une charge constituée par de l’hydrure de lithium, à l’état solide. Cette fusion s’accompagnait d’une forte émission de neutrons qui attaquaient alors une enveloppe constituée par de l’uranium 238, non fissile. La capture de ces neutrons transformait alors celui-ci en plutonium 239, et la fission de celui-ci s’accompagnait d’un nouveau dégagement massif d’énergie. Sakharov dimensionna d’abord cet engin de manière à ce que sa puissance pût théoriquement atteindre 100 mégatonnes. D’un poids de 27 tonnes celui-ci fut largué au-dessus de la Nouvelle-Zemble, dans l’arctique, par un bombardier quadrimoteur Tupolev Tu-95 “Bear”, volant à 13’000 mètres d’altitude.
La bombe de 27 tonnes et le bombardier Tupolev qui l’emporte
La bombe, un véritable monstre, d’un poids de 27 tonnes et longue de huit mètres descendit, freinée par un parachute et sa mise à feu se déclencha à 3500 mètres d’altitude.
Le monstrueux champignon de la Tsar Bomba
se déploie dans la stratosphère jusqu’à 70 km d’altitude
La boule de feu mesurait 7 km de diamètre (contre 150 mètres pour celle d’Hiroshima). L’éclair de l’explosion put être observé à 1000 km de distance. Le champignon se développa jusqu’à une altitude de 70 km, c’est à dire en dehors de l’atmosphère terrestre et atteignit une envergure de 25 kilomètres.
Puissances de trois bombes H comparées à celles des deux premières bombes atomiques. Mike, 1er novembre 1952, 10,4 MGT de TNT. Bravo, 1er mars 1954, 15 MGT de TNT, Tzar Bomba, 30 octobre 1961, 57 MGT de TNT. Trinity, 16 juillet 1945, 21 KT de TNT. Hiroshima, 6 août 1945, 14 KT de TNT.
Sakharov obtint que la puissance de la bombe soit bridée en remplaçant l’enveloppe extérieure, de Pu 238, par du plomb. Ainsi sa puissance, mesurée, fut-elle limitée à 57 tonnes d’équivalent TNT.
APAG2 : Cela reste, aujourd’hui, l’engin le plus puissant essayé à ce jours.
J.-P. PETIT: On sait que, immédiatement après, Andréi Sakharov décida de ne plus contribuer à doter son pays d’armes, de toute nature. Plus précisément il indique dans ses mémoires qu’il fit à l’époque le calcul du nombre de cancers qui résulteraient de la dispersion des débris de cet engin ; il se chiffrait en centaines de milliers. Et il écrivit “Contribuer à la défense de mon pays : oui, détruire l’humanité : non”.
APAG2 : Cet essai fut suivi par le tir Castle Bravo américain.
J.-P. PETIT: Une explosion qui montre l’absence de maîtrise des scientifiques dans les applications de cette techno-science. La charge de fusion était constituée par du deutérure de lithium, c’est à dire un hydrure de lithium où l’atome Li H d’hydrogène est son isotope à deux nucléons qu’on appelle le deutérium . Le lithium existe sous la forme de deux isotopes, le lithium six Li6 et le lithium sept Li7. La charge explosive de l’engin américain incluait 70 % de lithium 7 et 30% de lithium 6. En tablant sur la fusion du deutérium et du lithium six, donnant deux atomes d’hélium, les scientifiques américains pensaient que le second isotope se comporterait de manière totalement passive. Or il s’avéra qu’à travers une cascade de réactions ce second isotope produisait également une réaction de fusion, multipliant la puissance de la bombe par trois ! Ainsi, alors que la puissance calculée était de 5 mégatonnes, l’engin en développa le triple, soit 15 mégatonnes. De plus un vent en altitude, en direction inverse de celui mesuré dans les basses couches entraîna les retombées vers l’est, où elle s’abattirent sur un navire de pêche japonais, entraînant la mort immédiate d’un membre de l’équipage, et par la suite, celle différée de plusieurs autres, par cancers.
APAG2 : Tel est l’aspect spectaculaire, immédiat, des retombées du nucléaire.
J.-P. PETIT : L’issue est toujours la même, si on excepte l’incidence immédiate des affections radio-induites. Les sujets absorbent, d’une manière ou d’une autre, les substances produites et décèdent par cancers, parfois au bout de délais importants, dépassant la dizaine d’années.
APAG2 : En dehors de ces activités militaires il faut aussi compter avec les accidents du nucléaire civil.
J.-P. PETIT : Après l’affaire de l’essai Castle Bravo, les populations s’insurgèrent contre la poursuite d’essais nucléaires aériens et les nouveaux engins firent désormais l’objet d’essais nucléaires souterrains. Aux USA les Américains testèrent leurs nouvelles bombes dans un site situé au Nevada. Les Anglais firent de même en Australie, les Français en Polynésie, dans le site de l’atoll de Moruroa. Le site Russe se situait dans les steppes du Kazhakstan. Mais qui s’insurge contre l’éventualité inexorable d’accidents liés à la prolifération d’installations nucléaires civiles ? Il y a une chose dont le public ne se rend absolument pas compte, c’est le fait que le cœur de chacune de nos centrales nucléaires contient, en quantité de matière fissile l’équivalent de mille Hiroshima. La documentation AREVA[1] indique que la charge-type d’un réacteur de 900 MW correspond à 72 tonnes d’uranium enrichi. Tel qu’il est extrait sous forme de minerai le pourcentage d’uranium 235, fissile est de 0,7 % . L’enrichissement, par des procédés divers, amène ce taux à 10% ce qui fait que ce réacteur contient 7 tonnes de cet uranium fissile. Cette charge passe à 12 à 15 tonnes pour un réacteur de 1500 MW. Quand on sait que la quantité de matière fissiles dans une bombe à uranium tourne autour de la dizaine de kilos on voit que le chargement de nos réacteurs civils équivaut à celui de mille bombes du type Hiroshima. C’est la raison pour lesquelles les accidents de réacteurs civils, s’ils sont moins spectaculaires que les explosions des bombes, restent extrêmement dommageables pour l’environnement et la santé des hommes. Mais tout se joue dans le mental du public. On peut s’étonner que les réactions à l’échelle de la planète aient pu être vives après l’explosion de Castle Bravo à Bikini, alors qu’elles sont quasi inexistantes quand l’humanité est confrontée à la problématique du déploiement de l’électronucléaire à travers le monde.
APAG2 : L’accident récent de Fukushima aurait du constituer une leçon salutaire.
J.-P. PETIT : Visiblement, il n’en est rien. Encore une fois la cupidité irresponsable semble près de gagner la partie. Fukushima a représenté une nouveauté en regard de l’accident de Tchernobyl. Dans ce dernier, le cœur avait explosé. La pollution qui en était résultée s’était uniquement propagée par voie aérienne. Rappelez-vous que, suite à la fusion du cœur, les Russes se montrèrent très préoccupés par cette masse de métal fondu, constituant ce qu’on a appelé le corium, mélange d’uranium 235 et 238, de produits de fission, de transuraniens dont le plutonium, et d’éléments métalliques de structure, comme le zirconium entourant cette charge. La fusion d’un cœur de réacteur implique la concentration incontrôlable du matériau fissile et son entrée en criticité. La quantité de chaleur dégagée dépend exponentiellement de la concentration. Par ailleurs cette chaleur ne peut plus être évacuée. Un corium peut donc attaquer son support. D’abord la paroi d’acier de la cuve. Dans les réacteurs à eau pressurisée celle-ci a une forme hémisphérique, qui impliquera le confinement du cœur fondu selon l’axe du réacteur, à sa partie basse.
APAG2 : Puis le corium attaque le radier en béton.
J.-P. PETIT : Puisque ces interviews illustrent l’incompétence des gens du nucléaire il convient de rappeler une anecdote. Au moment de la catastrophe de Fukushima, quand les gens craignaient la fusion du cœur, le responsable de l’Autorité de Sureté Nucléaire française (ASN) déclara : “il ne faut pas dramatiser. Sous la cuve il y a quand même une dalle de béton de 8 mètres d’épaisseur!”. Visiblement cet homme ignorait tout de la capacité du béton à résister à la température. Ce matériau est issu de l’hydratation de composants solides. Dans le béton standard il y a 30% d’eau, en volume. Quand le béton est chauffé, il se décompose et relâche son eau sous forme de vapeur. Ceci se produit quand la température dépasse 1400°C, ce qui est vite atteint avec un corium moyennement actif. L’attaque est plus importante au centre le la flaque de corium.
APAG2 : A quoi ressemble un béton attaqué par le corium ? Probablement est-il bien difficile d’assister au phénomène, à cause de sa radioactivité.
J.-P. PETIT : Le Commissariat à l’Energie Atomique français ( CEA ) a réalisé, en 2009, pour le compte de l’Institut de Recherche sur la Sûreté Nucléaire (IRSN), des essais en simulation l’activité du corium[2]. Pour ce faire une masse d’uranium 238, non fissile, mélangé à du zirconium et autres débris a été chauffé par induction à 2000° . On voit alors apparaître des bulles de vapeur, au centre de cette masse. Ce sont les expériences “Vulcano”. Il faut regarder cette vidéo pour pouvoir observer le dégazage issu de la décomposition du béton.
Extrait de la vidéo “ Vulcano”
Décomposition du béton, sous le corium en fusion
APAG2 : Combien de temps un radier de béton peut-il résister à l’attaque par un cœur fondu ?
J.-P. PETIT : A Fukushima il y a eu fusion de trois cœurs. Après rapide perforation des cuves, en moins de dix heures, le corium a attaqué le béton. Moins d’une douzaine d’heures plus tard le radier était perforé. Ensuite ce corium a commencé à s’enfoncer dans le sol.
APAG2 : Et aujourd’hui, à quelle profondeur se trouvent ces cœurs ?
J.-P. ETIT : Personne n’en a la plus petite idée. A Fukushima il n’y a pas de nappe phréatique à proprement parler. Le sol contient de l’humidité, comme le permafrost sibérien. Comment s’effectue alors la circulation de l’eau dans ce milieu ? On ne le sait pas non plus, mais l’eau de l’Océan Pacifique est à quelques dizaines de mètres des cuves. Les Japonais ont donc commencé par installer un mur de protection, en béton. Mais il est vite apparu que cette mesure ne se révélait pas suffisante. La solution mise en œuvre a donc été de creuser des tranchées en aval des réacteurs sinistrés et d’y installer dans ces trous des systèmes de réfrigération, dans le but d’utiliser le sol lui-même, pour faire barrage, en le gelant.
APAG2 : C’est complètement fou.
J.-P. PETIT : Il faut ajouter que quand les Japonais arrosent leurs réacteurs, l’eau de ruissellement se charge de substances radioactives. Une eau qu’ils stockent alors dans un grand nombre de cuves, et qu’ils finissent au bout du compte par relâcher dans le Pacifique. Mais l’opinion internationale semble s’habituer à ces folies qui se succèdent les uns aux autres. C’est ça qui est vertigineux. Les hommes sombrent dans un état d’apathie face à ces problèmes. S’il n’y a pas quelque chose de spectaculaire, comme une explosion, ou la retombée de “neige atomique”, entraînant la mort d’individus en quelques jours, ces questions quittent les pages d’actualité des journaux. Au Japon un premier réacteur a été remis en marche à Sendaï, le 11 août 2015[3]. D’autres redémarrages suivront alors que tous ces réacteurs sont sujets aux tremblements de terre et que la plupart d’entre eux ont “les pieds dans l’eau” et sont vulnérables aux Tsunamis.
APAG2 : C’est désespérant.
J.-P. PETIT : Il en est ainsi pour toutes les œuvres humaines susceptibles de se révéler dommageables pour la santé. Pensez à l’époque où existait un moratoire contre l’utilisation des OGM. Même cela est tombé dans l’oubli. La norme évolue au fil des années. Prenez par exemple cette histoire de fusion des cœurs. Si cette masse de métal fondu tombe sur une radier de béton incliné et s’épand, on a quelques chances de voir cette expansion du cœur fondu contrarier son entrée en criticité. C’est ce qui s’est passé à Tchernobyl. On a même maintenant des photos de ce cœur fondu du réacteur qui a pris une forme de “pied d’éléphant”.
Photo du corium de Tchernobyl, par un robot
Mais le cas de Tchernobyl est trompeur. On croit souvent qu’un cœur de réacteur, après fusion, devrait se calmer au bout de quelques années, au point qu’on pourrait alors s’en approcher et le photographier. Mais à Tchernobyl, après que le réacteur eut explosé, les Soviétiques déversèrent des tonnes de sable, par hélicoptère. Ce qui s’est enfoncé dans le sol n’est pas le cœur du réacteur mais un mélange comportant 10 % d’uranium et 90% de sable, mélange qui était de ce fait beaucoup moins actif que ne l’aurait été une masse d’uranium fondu. Mais ça n’a pas empêché cette masse de passer au travers de plusieurs planchers de béton. Quatre cent ouvriers mineurs, partant de l’abri constitué par le réacteur voisin, ont creusé en toute hâte un tunnel de 150 mètres pour pouvoir intervenir sous le réacteur. Il avait été envisagé d’y installer un système de réfrigération à l’azote liquide. Un ouvrier se sacrifia pour aller ouvrir une vanne permettant d’inonder les locaux où le corium brulant était descendu, ce qui eut pour effet de refroidir celui-ci. Par la suite les mineurs coulèrent du béton dans le sous-sol du réacteur.
APAG2 : L’affaire de Tchernobyl est loin d’être close.
J.-P. PETIT: Ce qui est hallucinant c’est le comportement des Japonais. Tandis que persiste la pollution du site de Fukushima et que se poursuit celle du Pacifique par les radioéléments issus des cœurs fondus, les dirigeants Japonais se permettent de redémarrer leurs réacteurs ! Et face à cela que trouve-t-on ? Une bien timide manifestation de la population.
APAG2 : On est bien loin des manifestations qui avaient eu lieu lors de l’implantation, au nord du département de l’Isère, du surgénérateur Superphénix, lors desquelles il y eut même un mort.
J.-P. PETIT: Il y a deux choses qui brident la réaction des populations. La première c’est de ne pas avoir accès à l’information. La seconde est au contraire d’être submergé par celle-ci, déboulant de tous les côtés. Trop d’information tue l’information. Les gens sont saturés, anesthésiés. Ceux qui auraient pu s’ériger en porte-parole des populations grugées, les leaders des formations politiques se réclamant de l’écologie se sont montrés pitoyables. Primo, ils ignorent tant les aspects scientifiques et techniques du problème que ses dimensions écologiques et sanitaires. Secondo, ils se comportent comme des politiques soucieux des sièges à conserver ou à conquérir et non comme les garants du vivant et de sa durabilité. Tertio, au lieu de guider l’opinion publique vers une société moins hostile à la nature, ils n’ont pour toute boussole qu’un doigt mouillé en l’air. Avant l’élection de François Hollande, les dirigeants écologistes “avaient passé des accords” avec lui. On sait ce qu’il en advint. La première chose que fit Hollande après son élection fut de donner le feu vert au démarrage du projet de surgénérateur à neutrons rapides Astrid, le successeur du Super-Phénix; comme si la dilapidation des quelque neuf milliards d’euros qu’avait coûtés cette folie technologique, pour reprendre l’estimation assurément conservatrice du Rapport de la Cour des comptes de 1997, n’avait pas suffi à prémunir les dirigeants français contre pareil délire technocratique. Nul n’entendit de protestations solennelles des dirigeants prétendus écologistes. Même silence chez les scientifiques français.
APAG2 : Quelle démission !
J.-P. PETIT: Personnellement j’avais demandé à Michèle Rivasi “la passionnaria des Verts” de cosigner avec moi un livre sur ces questions. Après avoir donné son accord elle s’est proprement défilée, il n’y a pas d’autre mot. L’associations française Sortir du Nucléaire (SDN) est quant à elle inaudible. Tandis que dans les années soixante-dix, des milliers de Français, Suisses, Italiens et Allemands manifestèrent à Crey-Malville, à présent, cette malheureuse SDN organise des “défilés de bisounours”, pour reprendre l’expression d’un militant désabusé, défilés d’une prodigieuse inefficacité.
APAG2 : Et personne ne se hasarde à désigner les véritables responsables, ceux qui ont créé une telle situation.
J.-P. PETIT: Il n’y a pas si longtemps le Président Valéry Giscard d’Estaing disait que sa fierté avait été que le programme nucléaire français ait pris son essor sous son mandat, relayé par son Premier Ministre Jacques Chirac.
Giscard d’Estaing : le nucléaire, la dette française, le Constitution européenne
On lui doit aussi le parrainage du projet des “avions renifleurs”.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_des_avions_renifleurs
Une histoire complètement abarcadabrante où l’Etat dilapida des sommes importantes, payées par le contribuable. Un soi-disant inventeur italien, réparateur de postes de télévision, avec la complicité d’un aristocrate belge, monta une arnaque grossière grâce à laquelle un appareil de son invention qui, embarqué à bord d’un “avion renifleur“, était censé pouvoir détecter des nappes pétrolifères. Cette détection était signalée par des taches sur des images vidéos qui défilaient sur un écran. En fait le prétendu inventeur déclenchait l’apparition du “signal” convenu en actionnant, du fond de sa poche, la préfiguration des télécommandes de téléviseurs.
La personnalité d’un homme comme Giscard d’Estaing représente un concentré de ce que peut représenter une carrière politique « optimisée ». Il entre d’abord à l’Ecole Polytechnique française. Là, chaque année, 300 jeunes gens s’entendent dire pendant leurs deux années d’école qu’ils sont avant tout l’élite de la nation et qu’ils devront jouer leur rôle de guides.
Puis Giscard (qui moyennent finance obtint que « d’Estaing » fut accolé à sa nom, ce qui lui permit d’afficher ses initiales entrelacées à la grande porte en fer donnant accès à un de ses propriétés) épouse une riche héritière, une représentante des puissances d’argent. Entre temps il a, comme Hollande et nombre de politiques français, suivi l’enseignement de l’ENA, l’Ecole National d’Administration. Qu’apprend-t-on dans cette seconde école, en dehors des rouages de l’Etat Français ? Essentiellement la pratique de la langue de bois, l’art de discourir, au pied levé, sur un sujet quelconque, sans posséder la moindre compétence, ou même connaissance du sujet.
La trajectoire de Giscard se poursuit. Affligé d’une calvitie précoce il évolue en collant une longue mèche de cheveux sur le sommet de son crâne. Là encore, une ridicule obsession du paraître. Son ascension politique se poursuit. Il double Mitterrand, un autre caméléon politique, à l’aide d’une simple phrase, lâchée lors d’un débat télévisé :
- Monsieur Mitterrand vous n’avez pas le monopole du cœur.
Parvenu à la tête de l’Etat, Giscard « innove ». Il arrive à l’Elysée à pied. Il dîne avec « des Français ». Il … joue de l’accordéon, fréquente les vedettes du spectacle, s’encanaille. Il découvre la chasse aux grands fauves, en Afrique, chez son grand ami Jean Bedel Bokassa, futur empereur, qui lui offrira un lot de diamants bruts. A part cela il est l’auteur de la « loi Giscard » de 1973[4] qui interdit à l’Etat Français de battre monnaie et le contraint à emprunter aux banque privées. Des décennies plus tard cette opération, menée au bénéfice exclusif de banques privées, créera ici comme ailleurs une dette impossible à éponger.
Après son septennat, interrogé lors d’une émission de télévision Giscard faisait le bilan en se réclamant d’avoir impulsé la politique française en matière d’électronucléaire. C’était, disait-il, son plus grand succès. Aujourd’hui on sait que, grassement payé pour ce travail, il a été un des principaux auteurs de la Constitution Européenne.
Enfin, comme il est de coutume en France dans le monde politique il cumule toutes les retraites correspondant à ses différentes fonctions. 5000 euros par-ci, 5000 euros par là. Cinq mille comme député, plus cinq mille comme président, plus cinq mille comme membre du conseil constitutionnel, plus…. 29.000 euros au total.
APAG2 : Est-ce qu’en France l’étiquette d’antinucléaire n’est pas aussitôt associée à un certain … folklore ?
J.-P. PETIT: Je vais citer un exemple. Au sein de ce collectif “Sortir du Nucléaire” on pouvait même trouver une fédération anarchiste. C’est … n’importe quoi. Très peu de gens ont réellement conscience de ce qui est en train de s’installer en France. Il existe une possibilité d’avoir accès aux archives vidéo des sessions de l’Assemblée Nationale sur différents sujets.
APAG2 : En somme la carrière-type d’un politique Français.
J.-P. Petit : Sarkozy et Hollande ne valent guère mieux. Quand on se demande ce qui motive tous ces gens, quelles sont leurs vues sur le devenir du pays, on perd facilement ce qui leur tient lieu de dénominateur comme : le bête intérêt pour l’argent.
APAG2 : Ne pourriez-vous pas tenter d’élucider le mystère de l’élaboration de la politique française en matière de nucléaire.
J.-P. PETIT: Ca sera le sujet de la troisième partie.
J’ai téléchargé les enregistrements des débats parlementaires au sein de l’OPCST, de l’Office Parlementaire chargé des Choix Scientifiques et Techniques, émanation conjointe du Sénat et de l’Assemblée Nationale. Ses sessions sont animées par deux personnages, le sénateur Bruno Sido et le nucléo-député Christian Bataille. Précisons que c’est sur le territoire du “roi Vido”, la Haute-Marne, que doit être implanté le site d’enfouissement des déchets nucléaires français, dans le cadre du projet CIGEO.
APAG2 : Je suppose que vous allez nous parler de tout cela.
J.-P. PETIT: Bien sûr. Mais en attendant, je mettrai des visages sur les noms susmentionnés des deux hérauts actuels de l’électronucléaire français.
Le nucléo député Christian Bataille et le sénateur de Haute-Marne Bruno Vido
[1] http://www.areva.com/mediatheque/liblocal/docs/Clients/pdf-broch-reacteurs-vf.pdf
[2] http://www.irsn.fr/FR/popup/Pages/Experience_Vulcano.aspx
[3] http://www.lemonde.fr/energies/article/2015/08/11/le-japon-relance-le-nucleaire-malgre-l-hostilite-de-sa-population_4720135_1653054.html
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_janvier_1973_sur_la_Banque_de_France