Derrière le confinement sanitaire, le risque nucléaire…

Malgré les efforts de l’État, le nucléaire est en difficulté, et si notre confinement en accroissait la dangerosité?

 

Pierre Péguin

Docteur ès sciences

mars 2020

Avant le confinement, et malgré une actualité chargée (retraite, virus menaçant), le nucléaire était resté dans l’actualité et dans les préoccupations des gouvernants. Il a fallu en effet sauver de la faillite EDF et Areva/Orano, à coups de milliards et de restructurations (1), et ce dans un contexte international de déclin de la production d’électricité nucléaire (malgré quelques îlots de résistance en Chine, Russie, Inde). Celle-ci nécessitant un haut niveau de technologie, une capacité de financement très importante, n’ayant pu se développer que dans des pays industrialisés, elle ne représente plus que 10 % de l’électricité consommée dans le monde, soit que 2 % de l’énergie totale consommée, tandis que la part des renouvelables plus rentable croit rapidement (2).

On verra dans ce qui suit que cela n’a pas découragé nos dirigeants, s’appuyant avec opportunisme sur le fait que cette technologie serait prétendue non carbonée, et serait un levier pour limiter le taux de rejet de CO2….. Sauf qu’elle peut provoquer une catastrophe impossible à maîtriser, et qu’elle engendre en fonctionnant des déchets radioactifs à gérer jusqu’à la fin des temps à notre échelle, et pour lesquels aucune réelle solution n’existe (3)… Le nucléaire n’est-il pas la plus mauvaise solution pour faire bouillir l’eau alimentant les alternateurs ?

On connaît déjà le serpent de mer du fiasco des EPR de Flamanville et de Finlande dont délais et coûts ont été multipliés par 3 ou 4 sans que pour autant ils puissent fonctionner…. La mise à l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim, a ouvert une brèche dans le bloc intouchable du nucléaire (4); la décision en avait été prise et reportée depuis plusieurs années sous Hollande pour ces vieux réacteurs dont la dangerosité est dénoncée aussi par la Suisse et l’Allemagne.

Quant aux riverains du bas-Rhône, ils ont eu à commenter la suspension du projet de construction à Marcoule du réacteur Astrid, dont la mouvance écologique se réjouit, mais qui inquiète les personnels et les collectivités qui vivent des générosités de l’électronucléaire.

Cette décision est à nos yeux très importante car elle repousse (on espère aux calandres grecques) la filière des réacteurs à neutrons rapides, l’une des deux filières portées par le CEA, filière très difficile à maîtriser (voir les multiples arrêts et difficultés des gouffres financiers qu’ont été les fiascos de Phenix et superphenix). Il s’agit d’une technologie particulièrement délicate, dangereuse car alimentée au plutonium extrait des combustibles usés à la Hague, lié à l’uranium dit « appauvri » dont les stocks s’accumulent au Tricastin à la sortie de l’usine d’enrichissement.

Quant à l’autre enfant chéri du CEA, la fusion nucleaire dont la construction en cours du monstrueux Iter à Cadarache (5) illustre une fois de plus le gaspillage de fonds public et les dégâts écologiques d’un projet qui a toutes chances de se terminer par un fiasco de plus, mais dont la dimension internationale empêche tout arrêt du projet…. .

Que peut signifier la décision de renoncer, provisoirement au moins, à Astrid ? Nous nous interrogeons encore sur cette excellente nouvelle qui nous a surpris, est-ce la résolution d’une lutte interne d’influence entre les cadres polytechniciens du corps des ponts qui tiennent EDF sur ceux du corps des mines qui tiennent le CEA? Est-ce que face aux difficultés économiques, l’État est obligé de sauver EDF empêtré dans ses dettes et ses projets pourris de construction à Hinkley Point en Angleterre, incapable d’assurer financièrement le « grand carénage » qui pourrait lui permettre d’obtenir de prolonger la vie des réacteurs au-delà de 40 ans, ni de construire de nouveaux EPR pour maintenir la production d’électricité nucléaire, et encore moins de provisionner suffisamment pour le démantèlement inévitable des installations ?

Pour un pouvoir pronucléaire la situation est évidemment inacceptable…

Pour sauver EDF, électrification à tout prix, et assurer

ainsi l’avenir du nucléaire français. Il semble bien qu’en effet la seule façon pour nos nucléocrates de sauver le nucléaire français soit de conforter EDF

qui aurait pu être mis en faillite sans l’aide de l’État aux frais du contribuable. Des décisions récentes le laissent penser.

Ainsi l’État annonce le versement à EDF de la coquette somme de plus de 3 milliards d’€ pour manque à gagner dû à l’arrêt de Fessenheim. Somme considérable, alors qu’EDF aurait eu beaucoup à investir pour assurer le fonctionnement de ces 2 réacteurs plus longtemps. Il s’agit bien d’un cadeau déguisé, pour échapper à la surveillance de l’Europe préservant « la concurrence libre et non faussée ». Cela veux dire aussi que ce cadeau sera renouvelé à tout nouvel arrêt de centrale….

Et dans le même temps un programme d’accaparement de terres autour des centrales est lancé, montrant par là qu’EDF, Etat dans l’État, a une politique d’extension à très long terme de la pieuvre atomique (6)

Mais le plus important pour assurer l’avenir de l’électricité atomique est d’en développer à tout prix l’utilisation, notre société doit grâce au nucléaire s’electrifier le plus possible, prétenduement au nom de la lutte contre le réchauffement climatique! Notons que tous nos pays voisins ont le même objectif de réduire leurs emissions de gaz à effet de serre, mais…. en renonçant au nucléaire (probablement font-ils le choix du retour à la caverne et à la bougie…). Et bonne nouvelle l’Europe a refusé que le nucléaire soit reconnu équivalent aux énergies renouvelables, et puisse donc être soutenu comme elles, comme le revendiquait la France !

Et qu’en est-il de la sobriété nécessaire ? On en est loin : L’État français nous a déjà habitué à favoriser la surconsommation d’électricité et son gaspillage pour assurer le financement de l’électronucléaire. Ce fut d’abord la promotion du chauffage électrique, ainsi que de l’eau chaude et de la cuisine électriques provoquant les plus importantes pointes de consommation de l’Europe en fin de journée (pointes que le nucléaire fonctionnant en base ne peut assurer, et qui sont donc couvertes par le thermique et les renouvelables d’Allemagne et des autres pays voisins). Ce fut le cas aussi qu’a constitué la propagande pour la climatisation par Pompes à chaleur promue grâce aux étés chauds (mais là encore pas de chance, la canicule ne permettant plus le refroidissement des réacteurs par l’eau de fleuves, ce sont fréquemment les renouvelables étrangers qui soutiennent le réseau).

Et depuis peu tout est fait pour lancer la voiture électrique avec de coquettes subventions, bien qu’elle ne soit pas vraiment écologique du fait des batteries. De plus elle parait émettre presqu’autant de particules fines que les voitures à essence ou diesel (7). Son utilisation a des limites et son succès se fait attendre…

Mais la nucléocratie ne baisse pas les bras, elle vient d’imposer une arnaque pour relancer le chauffage électrique (8)! Voila que l’État en changeant un simple coefficient relance la pose de radiateurs électriques dans les logements même mal isolés.

En quoi consiste l’entourloupe ?  Sous l’impulsion de consignes européennes, les consommations d’énergie avaient été récemment limitées à 50Kwh/m² de logement, ce qui a limité le chauffage électrique au profit des pompes à chaleur et des chauffages au gaz. En effet du fait du mauvais rendement des réacteurs, l’utilisation de chaque Kwh électrique correspond à 3 fois plus de chaleur produite pour faire bouillir l’eau alimentant les alternateurs (les 2/3 de la chaleur étant donc rejetés dans l’environnement !). Un coefficient de 2,58 déjà bien favorable à l’électricité fut attribué à la consommation de Kwh électriques, de 1 pour le gaz bien plus efficace, et de 1 aux renouvelables bien sûr. Et bien il suffit de diminuer encore et arbitrairement ce coefficient à 2,3 pour que chauffage et eau chaude électriques puissent à nouveau passer sous la barre du 50Kwh/m², et même dans les logements mal isolés.

Retenons donc que si beaucoup de pays voisins se préoccupent de diminuer leurs emissions de CO2, ils le font sans nucléaire, tandis que la France, 9 ans après la catastrophe de Fukushima toujours incontrolable (9), s’obstine dans une technologie périmée, lourde, coûteuse et surtout dangereuse, elle s’obstine à prendre des mesures favorables à la surconsommation d’électricité, alors qu’à nos yeux l’arrêt indispensable de la production d’électricité atomique nécessite des mesures de sobriété et de production renouvelables.

Le risque de nous retrouver en situation d’avoir à subir une catastrophe comparable à celle de Fukushima impose d’appeler à l’arrêt quasi immédiat du nucléaire. Et c’est possible :

Pour l’arrêt indispensable quasi immédiat du nucléaire, .

Lorsqu’un immeuble se fissure sous l’effet de séisme ou de travaux et menace de s’effondrer, doit-on attendre longuement que soient réunies de bonnes conditions de relogement pour évacuer l’immeuble ? Non on évacue en extrême urgence. Il en est de même pour ces vieux réacteurs dont les cœurs, les générateurs de vapeur, se fissurent et subissent bien d’autres défauts alarmant. L’arrêt du nucléaire est à effectuer quasi immédiatement, avant la catastrophe de plus en plus probable.

Et c’est possible, oui contrairement à ce qu’on nous raconte, et bien que rien ne soit fait en ce sens en France, c’est possible : Le réseau interconnecté européen relie des capacités de production sous utilisées d’électricité, supérieures aux besoins, pouvant soutenir le réseau francais défaillant (10). Et tant pis si en transition vers plus de sobriété et de renouvelables, on brûle provisoirement plus de fossiles si cela permet à l’Europe occidentale de ne pas avoir à subir la catastrophe à venir.

On ne peut accepter que soit reconnu officiellement que la catastrophe est possible, que soit organisé sa gestion éventuelle, et continuer comme si de rien n’était. n’est-ce pas criminel ?

Et l’épidémie de virus en cours rend la gestion des installations atomiques difficile et de plus en plus dangereuse.

Les centrales sont gérées par de petites équipes de travailleurs spécialisés, et ce, qu’elles soient en production ou à l’arrêt, il faut toujours veiller au refroidissement du cœur pour en éviter la fusion catastrophique. EDF aura beau restreindre les équipes, allonger le temps de travail, il n’est pas exclu que la pénurie de personnel touché par le virus crée des situations de risques accrus (11), d’autant que le parc est déjà en mauvais état, et que les incidents de fonctionnement se multiplient.

Dès maintenant, Flamanville est à l’arrêt, le retraitement à la Hague est arrété (12). D’autres sites suivront.

Mais imaginons ce que serait la situation si un accident ou une catastrophe atomique survenait dans la situation actuelle de confinement et de système hospitalier débordé ! N’est-il pas criminel de poursuivre la production d’électricité nucléaire ?

Et par ailleurs le confinement imposé contre la propagation du virus n’est-il pas une répétition générale de ce qui se passerait après l’accident nucléaire : confinement, contrôle des déplacements, messages du gouvernement sur les portables, état d’urgence sanitaire.
les autorités civiles et militaires vont certainement tirer de bons enseignements de cette expérience grandeur nature (même si virus et

radioactivité ne se gèrent pas de la même façon)… pour savoir comment la population se comporte.
Et dans le même temps le fichage des antinucléaires s’organise (13
).

(1)EDF, « un fiasco industriel, économique et financier », Le Monde, 13 décembre 2019 : https://bit.ly/32cti49 . Et quand l’État reprend en main EDF avec son projet « Hercule » La Tribune, 11 décembre 2019 : https://bit.ly/2V8UOOx

(2) La fin programmée de l’énergie nucléaire dans le monde, https://www.trahnsitionsenergies.com/fin-energie-nucleaire-monde/,

Et extrait de la lettre de l’Observatoire du nucléaire: « Concurrencé par les renouvelables, le nucléaire décline dans le monde, voir Reporterre, 19 décembre 2019 : https://bit.ly/32ccnid et le World Nuclear Industry Status Report qui, sous la direction de Mycle Schneider, analyse l’état de l’industrie nucléaire dans le monde et, cette année, consacre un nouveau chapitre à l’évaluation de l’option nucléaire comme moyen de combattre l’urgence climatique ».

(3) Déchets nucléaires : une étude émet des doutes sur le conditionnement à Bure : Le Quotidien, 27 janvier 2020 : https://bit.ly/2wQePzf

(4) Yves Marignac https://savoie-antinucleaire.fr/2020/02/22/lindustrie-nucleaire-refuse-lidee-dun-declin/, (5) « Soleil trompeur – Iter ou le fantasme de l’énergie illimitée », Isabelle Bourboulon, ed les Petits

matins, 2020.
(6) EDF achète des terres. Partout en France, EDF prospecte et cherche à accumuler des hectares autour

de sites déjà nucléaires (mais pas que) https://lundi.am/Des-terres-pas-du-nucleaire,

(7) d’après Transitions et Energies du 18 mars, Particules fines: Pneus et freins polluent bien plus que les moteurs thermiques. Les moteurs diesel, et essence ne représentent qu’une part limitée des émissions de particules fines ; elles sont émises par tous les types de véhicules, à moteur diesel, à moteur essence et à moteur électrique, car provenant avant tout de l’abrasion des pneumatiques et des systèmes de freinage.

(8) « Si la transition écologique par le nucléaire est le choix de la technocratie française, il faut le dire clairement » https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/28/energie-si-la-transition-ecologique-par-le-nucleaire-est-le-choix-de-la-technocratie-francaise-il-faut-le-dire-clairement_6031208_3232.html,
Voir aussi, https://www.batiactu.com/edito/acteurs-vent-debout-face-a-redefinition-niveau-bbc-58949.php?,MD5email=7a2b62c8e205e645d1cbd48f8a6d7387&utm_source=news_actu&utm_medium=edito&utm_content=article,

(9) 9 ans que la catastrophe nucléaire de Fukushima se développe et s’aggrave, contaminant toujours plus de territoires, d’habitants. Les autorités japonaises veulent reverser dans le Pacifique les quantités astronomiques d’eau radioactive stockée dans des milliers de réservoirs autour de la centrale accidentée. Quant au démantèlement de cette dernière, il durera au moins une cinquantaine d’années https://bit.ly/3cjcfCn, tandis que la décontamination des sols paraît impossible : https://www.soil- journal.net/5/333/2019

(10) L’arrêt immédiat du nucléaire est techniquement possible à l’échelle européenne http://collectif-adn.fr/2019/arret-immediat-europe.html

(11) Coronavirus : comment maintenir le nucléaire sans le personnel ?http://coordination- antinucleaire-sudest.net/2012/index.php?post/2020/03/17/Coronavirus-%3A-comment-maintenir-le- nucleaire-sans-le-personnel,
L’entêtement du gouvernement et de EDF nous menace.

(12) Orano à arrêté les activités de retraitement à La Hague. Toutefois, la réception des combustibles usés et l‘expédition du plutonium vers Marcoule. Continuent.

https://actu.fr/normandie/beaumont-hague_50041/coronavirus-orano-hague-met-larret- installations_32342507.html

C’est une bonne nouvelle car avec l’arrêt du retraitement la Hague cesse de rejeter 90% de l’ensemble du tritium rejeté par les installations nucléaires françaises : Note de la CRIIRAD – 21/06/2019, https://www.criirad.org/actualites/dossier2019/Note_CRIIRAD_tritium.pdf.

(13) Fichage des antinucléaires, https://reporterre.net/Un-decret-risque-de-renforcer-le-fichage-des- antinucleaires Un décret pris par le gouvernement a transformé une instance chargée de filtrer les entrées sur les sites nucléaires en cellule de renseignement sur les antinucléaires (notons le parallèle avec la récente création du service de gendarmerie Déméter pour surveiller les opposants à l’agroindustrie….).

 

 

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