Article de Philippe Bach intitulé « Atomic Lobby »,
paru dans Le Courrier, Genève, le mercredi 4 juillet 2012.
Comme l’oiseau de feu mythologique, le projet de surgénérateur semble bien en passe de renaître de ses cendres. Dans une autre incarnation – le projet s’appelle aujourd’hui Astrid (pour Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) –, mais on est bien en face d’un nouvel avatar du prototype préindustriel que la France avait érigé à Creys-Malville, à quelque septante kilomètres de Genève.
Le nouvel engin sera construit sur le mégasite de Marcoule (Drôme et Gard). D’une puissance électrique de 600 mégawatts, soit la moitié de celle de Superphénix, ce réacteur est censé être le premier d’une nouvelle génération – la quatrième du parc électronucléaire français. Comme le surgénérateur de Creys-Malville, il s’agit d’une filière à neutrons rapides, refroidie au sodium (un caloporteur particulièrement délicat car très réactif tant au contact de l’air que de l’eau).
Le 26 juin dernier, dans une discrétion certaine, un accord a été signé entre le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et le groupe Bouygues, chargé de construire cette installation. Il faut dire que le gouvernement français est mal à l’aise. Et il y a de quoi.
En 1997, la mise en place du gouvernement Jospin sur fond de gauche plurielle – avec les Verts et le Parti communiste – avait vu l’abandon de Superphénix. Rien de tel aujourd’hui, alors même que le PC – notoirement pronucléaire – n’est plus partie prenante de l’équipe gouvernementale.
Matignon a tenté d’esquiver le débat et a laissé au CEA le soin de communiquer. Avec un raisonnement qui laisse pantois: le choix de lancer la filière a été pris avant l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, celui-ci n’aurait donc pas à se prononcer sur ce projet. Et les Verts, tellement pressés d’aller à la soupe, encaissent sans moufter1. Il y en a qui apprennent vite.
C’est bel et bien à une nouvelle manifestation de la mainmise du lobby nucléocrate sur la politique que nous assistons. L’accord passé entre le PS et les Verts avait déjà été réécrit en catimini par les chiens de garde de l’atome, qui ont l’oreille de François Hollande.
Ce pseudo-aveu d’impuissance est révélateur. Et inquiétant. Car une autre voie est possible. Swisspower, l’organisme faîtier de dix-neuf services industriels suisses, a présenté lundi sa feuille de route visant à sortir non seulement du nucléaire mais aussi à réduire la dépendance de la Suisse aux énergies fossiles. Selon ce document2, à l’horizon 2050, 80% de l’électricité consommée en Suisse pourrait être d’origine renouvelable. Et les carburants fossiles seront, eux aussi, remplacés par de la géothermie, de la biomasse ou du biogaz.
Pour paraphraser Charles de Gaulle: «L’intendance suivra.» Autrement dit: quand on veut, on peut. Encore faut-il vouloir, à défaut d’exiger, comme on serait en droit de l’attendre des Verts français.
Notes:
1. A l’exception de Noël Mamère, qui a annoncé qu’il s’abstiendrait lors du vote de confiance au projet gouvernemental qui avait lieu hier soir.
2. Masterplan 2050 des Services industriels de Swisspower, Guide de l’efficacité énergique, 1er juillet 2012, 24 pp.