Astrid, le surgénérateur qui renaît de ses cendres

J.P.Petit, Physicien des plasmas, Ancien directeur de recherche au CNRS

Jppetit1937@yahoo.fr

Le 31 juillet 1977, soixante mille manifestants, Français, Italiens, Suisses, s’étaient rassemblés, convergeant vers le terrain où le gouvernement français avait prévu de construire Superphénix, un surgénérateur à neutrons rapides. Face à eux, le préfet a déployé des moyens importants : 5 000 CRS, gendarmes et gardes mobiles, des hélicoptères, des véhicules amphibies, des ponts mobiles, un régiment de gendarmes parachutistes et des membres des brigades anti-émeutes pour leur en interdire l’accès. Pourtant ça n’est qu’un terrain. Il n’y a rien à détruire, à endommager, pas d’engins de chantier, rien. Mais ce terrain est un symbole.

Le symbole de ce qui a toujours existé en France : une symbiose totale entre le pouvoir nucléocratique, le pouvoir politique et le pouvoir policier. L’affrontement est extrêmement violent. Les “forces de l’ordre” font usage de grenades offensives et répliquent aux jets de pierres par des tirs tendus. Un manifestant de 31 ans, Michalon, est atteint. Une grenade offensive, tirée à bout portant, le touche et lui explose les poumons. Il décédera peu après. L’assaut des forces de l’ordre fait plusieurs dizaines de blessés. L’un perdra une main, l’autre un pied. Le préfet, questionné sur un plateau de télévision le soir même, déclare qu’il assume complètement ces événements, précisant que le rôle des forces de l’ordre est de veiller à la sécurité “des personnes et des biens”.

Quatre décennies plus tard, que sont devenues ces luttes ?

Il n’y a plus rien que des pantomimes ridicules, des gens qui “font des chaînes” en se tenant par la main. Les associations qui sont censées “mener le combat antinucléaire” ont totalement perdu leurs cibles de vue. Quant aux scientifiques, ils se soucient de ces choses comme d’une guigne, et la plupart du temps n’y entendent pas plus que le péquin moyen.

Les machines de mort ont changé de nom, et personne ne semble s’en apercevoir. Six semaines après son élection, le président français François Hollande a machinalement signé l’autorisation de lancement du projet ASTRID, baptisé “réacteur de IV° génération”. Une décision passée pratiquement inaperçue, au point que cet événement essentiel n’a même pas été cité lors de la diffusion sur France 3 d’une émission intitulée “Nucléaire, l’exception française”.

Vu à travers cette émission, l’exception, c’est le nombre des réacteurs, cinquante-huit, que tout le monde connaît. La France est le pays le plus nucléarisé du monde, par tête d’habitant. Mais le pire est à venir. Le 17 novembre 2011, le nucléo-député Christian Bataille, dirigeait une session de l’OPECST, Office Parlementaire d’Etude des Choix Scientifiques et Techniques. Ces exposés et débats ont été enregistrés. Il est assisté par Bruno Sido, sénateur et Président du Conseil Général de Haute Marne, région où, précisément, se situe le projet CIGEO, axé sur le stockage profond des déchets à vie longue. Ayant téléchargé ces enregistrements, j’ai pu les revisionner en en notant chaque détail.

Thème de cette réunion : “ L’avenir du nucléaire français après la catastrophe de Fukushima”.

Bataille commence par rendre compte d’un voyage de trois jours qu’il a fait au Japon, prenant note des déclarations faites par les responsables locaux. Là-bas, dit-il, il n’y a eu que deux blessés, et deux morts, par noyade, à la suite du tsunami. Des gens ont été irradiés, bien sûr, mais les doses ont toujours été inférieures aux normes, etc, etc..

Ce qui inquiète le député Bataille, qui est l’auteur d’une loi qui porte son nom et qui prône l’enfouissement profond des déchets radioactifs à vie longue, c’est le fait que le Japon, après cette catastrophe, a mis à l’arrêt tous ses réacteurs, et il cite la conclusion des experts : cet arrêt coûtera au pays deux points de PIB.

Il faut passer le temps nécessaire pour écouter, réécouter les interventions des uns et des autres. Des intervenants soigneusement choisis par Bataille : le CEA, Edf, AREVA, le CNRS, gens que le député désigne comme “des acteurs principaux de la filière”. Pas un mot sur le risque, le coût humain, les dommages environnementaux. Il serait souhaitable que ces fichiers soient téléchargés sur Youtube ou Dailymotion, car ce sont des modèles du genre. On n’y parle que de chiffres, pourcentages, filières, cycles, retours sur investissements, exportations, coût du kilowatt-heure, calendrier, R & D (recherche et développement), REP, EPR, RNR, MOX, exportations, importations, bouquet énergétique.

Tous ces gens s’entre-félicitent. Au milieu de cette foule, le député “Vert” Cochet a du mal à faire face à des gens qui ne cherchent nullement à masquer leurs sourires, en écoutant son plaidoyer en faveur des “énergies vertes”: solaire et éolien.

Je me demande ce que retiendrait un simple quidam, qui serait aussitôt étourdi par ces discours, fleuris de nombreux termes techniques. Savez-vous par exemple que les “actinides” ne sont pas des être planctoniques ou des divinités grecques, mais tout atome dont la masse dépasse celle de l’actinium qui est de 89. Donc le plutonium, l’uranium, le thorium, etc.. etc…

Ces discours montrent que rien n’a changé. Le plan français suit son cours.

Qui connaît l’essence de ce plan ? Qui en parle ?

Les choses sont pourtant limpides. Le minerai d’uranium se présente sous la forme d’un mélange de deux isotopes. La proportion est de 99,3 % d’uranium 238 contre 0,7 % d’uranium 235. Le second est fissile, le premier ne l’est pas.

La fission a fait son entrée en physique avec l’explosion de deux bombes, lâchées sur le Japon. L’une d’elle était une bombe à uranium. Pour qu’elle fonctionne, il avait fallu laborieusement enrichir ce produit à hauteur de 90 % d’uranium 235. Sinon cette bombe n’aurait pas fonctionné. Plusieurs procédés d’enrichissement ont été utilisés, et nous n’allons pas tous les décrire, en ne retenant que celui qui a été le plus médiatisé : l’enrichissement par centrifugation.

Les bombes à fission fonctionnent-elles avec de l’uranium ? La réponse est non. Cet enrichissement serait trop laborieux, trop coûteux. C’est l’Italien Enrico Fermi qui trouva le moyen de produire par transmutation une autre matière fissile, le plutonium 239, découvert en 1940, beaucoup plus commode à séparer, puisque ne possédant pas les mêmes propriétés chimiques que la substance, l’uranium 238, à partir de laquelle on le fabriquait.

Comment ? Enrico Fermi invente le “réacteur nucléaire”. Celui-ci peut fonctionner avec de l’uranium naturel, à condition d’en réunir suffisamment pour obtenir un début de “criticité”. Le schéma est simple. Les atomes d’uraniums 235 sont instables. Ils se décomposent en émettant des neutrons, plusieurs (en moyenne deux et demi). Si ces neutrons ont la chance de trouver sur leur chemin un autre atome fissile, un autre atome d’uranium 235, celui-ci se scinde à son tour, en émettant lui aussi plusieurs neutrons.

Il se produit alors une réaction en chaîne. La quantité d’énergie dégagée dépend du volume du mélange qu’on a rassemblé. S’il est trop faible, les neutrons s’échappent, quittent le réacteur, sans provoquer de réactions secondaires, ou très peu. A l’extrême limite, dans une bombe, le nombre de réactions de fission obtenu est extrêmement élevé et le dégagement d’énergie extrêmement rapide. Le milieu se comporte alors comme un explosif.

En rassemblant des barres de minerai, et en contrôlant soigneusement le régime, on peut tabler sur un certain flux de neutrons. Mais ceux-ci ne font pas que s’échapper, quitter le réacteur, qu’aller se perdre dans une couverture protectrice, ou déclencher de nouvelles fissions. Ils donnent lieu à une transmutation qui est la clé des bombes à fission :

Les neutrons émis sont capturés par les noyaux d’uranium 238, qui se transforment en plutonium 239.

Celui-ci est fissile mais son cortège électronique, qui détermine ses propriétés chimiques, diffère de deux unités, de deux électrons, de celui des isotopes de l’uranium. On peut donc extraire ce précieux explosif par voie chimique, sans centrifugeuses, sans ces multiples et coûteux systèmes d’enrichissement.

On connaît l’histoire. En 1942, Fermi fait fonctionner, sous les gradins du stade de Chicago, le premier réacteur nucléaire. Bien que la puissance d’un tel réacteur ne soit que d’un demi-watt l’émission de neutrons est mise en évidence.

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Le premier réacteur nucléaire construit à Chicago par Enrico Fermi, en 1942

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La fission de l’uranium produit les neutrons attendus

C’est la formule gagnante. Il ne reste plus qu’à construire d’immenses réacteurs, à Hanford, sur les berges de la rivière Colombia, pour se mettre à produire massivement du plutonium 239. Celui-ci n’existait pas dans la nature, car sa durée de vie est trop brève : seulement 24.000 ans.

Où sont créés les atomes dont tout est constitué, en dehors de l’hydrogène et de l’hélium, qui préexistaient avant la naissance des premières étoiles ? Au commencement du tout commencement, dirait Kipling, il n’y avait que de l’hydrogène. Quand l’univers était encore très chaud, quand sa température était de centaines de millions de degrés, il fonctionna comme un réacteur à fusion, donnant de l’hélium (quatre nucléons au lieu d’un seul pour l’hydrogène). Puis, quand l’expansion fit décroître température et densité, cette réaction s’arrêta, le processus de fusion n’ayant transformé en hélium que 10 % de l’hydrogène primitif.

L’affaire sera relancée au coeur des étoiles, toujours par fusion. Celles-ci produisent de l’hélium, puis du carbone, de l’oxygène, éléments relativement légers. C’est là qu’intervient le spore cosmique, la supernova, une étoile dont la masse dépasse huit fois celle du Soleil. On sait que sa fin est paroxystique. Elle explose en dispersant aux quatre vents du cosmos tous les noyaux possibles et imaginables, et tous leurs isotopes. Seuls subsisteront les isotopes stables, dont les durées de vie sont suffisamment importantes. Ces durées de vie sont extrêmement variables selon les noyaux créés. Certains se décomposent en une fraction de millième de seconde.

Il n’y a rien de plus radioactif que l’environnement d’une supernova. Bien sûr, celle-ci produit massivement les deux uraniums, le 238 et le 235 et du plutonium 239, tous en quantités comparables. Rien n’est stable au sein de ces atomes lourds. L’uranium 238 a une durée de vie de quatre mille milliards d’années. Quatre cent fois l’âge de l’univers. Ca laisse le temps de voir venir. Sa radioactivité est donc infime. Pour le 235, on tombe à sept cent millions d’années. Il est donc radioactif. En se décomposant, il émet des “particules alpha”, des “noyaux d’hélium”. Cette décomposition dégage de la chaleur et c’est celle-ci qui entretient la chaleur du noyau terrestre.

Le plutonium est également radioactif, émet aussi des “noyaux alpha”. Mais du fait de sa courte durée de vie, il en émet infiniment plus, trois cent mille fois plus. C’est ce qui le rend biologiquement dangereux à très faible dose. Si un individu inhale ou ingère un milligramme de plutonium, cette infime poussière ira se loger tout contre les cellules d’organes divers, y causant des désordres cancérigènes, mortels.

Les spécialistes parlent de “durée de vie biologique” pour les éléments radioactifs. Certains sont éliminés relativement rapidement dans les urines, les fèces. Mais la “durée de vie biologique” du plutonium est de quarante années. Quand vous en inhalez ou en ingérez, vous … mourrez avec, c’est aussi simple.

Avant de parler du plutonium, j’ai jugé bon d’expliquer pourquoi ce produit était hyper dangereux, infiniment plus dangereux que l’uranium 235.

L’atome entre dans l’histoire, en tant que machine à tuer. Et elle tue bien, beaucoup, longtemps. Il faudra du temps avant qu’on envisage d’exploiter l’énergie qu’il dégage, en l’exploitant sous forme thermique, afin de créer de la vapeur, de faire tourner des turbines, lesquelles actionneront des alternateurs, produisant de l’électricité. Partout, ce “nucléaire civil” n’est qu’une retombée d’un nucléaire militaire. Pour les militaires, c’est clair, les réacteurs n’ont qu’une seule fonction : servir à transmuter de l’uranium 238 pour en faire du plutonium 239. Comme pour l’uranium, le plutonium “de qualité militaire”, celui des bombes, doit contenir 90 % de 239.

Quand on envisage un nucléaire civil, électrogène, les pourcentages sont beaucoup plus faibles. On a dit que le minerai naturel d’uranium ne contenait que 0,7 % d’uranium fissile, de 235. Si on monte ce taux à 3 %, on peut faire fonctionner un réacteur nucléaire et c’est avec ce mélange de 97 % d’uranium 238 et de 3 % d’uranium 235 que sont chargés les réacteurs civils de la “première et seconde génération”.

En concentrant des “barres de ce combustibles nucléaire” dans un “coeur”, on obtient un dégagement de chaleur qui se maintient pendant plusieurs années. La chaleur produite est évacuée par de l’eau ordinaire, qui joue au passage un autre rôle. Elle “ralentit les neutrons de fission”. Il se trouve que ces neutrons, ainsi ralentis, ont plus de chance de déclencher une autre fission dans un autre noyau d’uranium 235, voisin. On peut donc, grâce à ce “modérateur”, qui joue en plus le rôle de “fluide caloporteur”, obtenir un fonctionnement rentable avec un enrichissement portant la teneur du mélange à seulement 3 % d’U235.

Quand les deux tiers de l’uranium 235 ont été “brûlés”, quand il ne reste plus que 1% de cet isotope dans le coeur, le fonctionnement cesse d’être rentable. Il faut alors arrêter le réacteur, attendre que la température de l’eau diminue, ouvrir le couvercle, sortir les barres, les transporter pour aller les plonger dans une “piscine”.

Pourquoi ne pas les mettre à l’air libre ? Pourquoi ces précautions, puisque la diminution de la densité spatiale de 235 (en changeant la géométrie du chargement et en maintenant les barres à des distances suffisantes) a supprimé tout risque de criticité ? Parce que les produits de réaction sont aussi instables et se décomposent en produisant radioactivité et chaleur. Il faudra attendre cinq ans pour que tout cela se calme, qu’on puisse sortir ces barres de l’eau, les manipuler et conditionner ces “déchets à vie longue”.

En ralentissant les neutrons émis par la fission de l’uranium 235, on a accru les chances de produire de nouvelles fissions dans les atomes de 235 voisins. On a aussi réduit l’énergie véhiculée par ces neutrons pour qu’ils aient assez de force, en percutant un noyau d’uranium 238, pour le transformer en plutonium 239.

Est-ce à dire qu’un réacteur civil ne produit pas de plutonium, à la différence des réacteurs militaires, “plutinogènes”, où on ne ralentit pas les neutrons ? Non. Même si l’eau ralentit notablement les neutrons, il en subsiste suffisamment pour transmuter l’uranium 238 en plutonium 239. Dans ce qui émerge d’un coeur à uranium, la majeure partie de ce qui était jusqu’ici considéré comme un déchet c’est … du plutonium. Un pour cent de la masse de ce coeur en fin de vie.

C’est là qu’a émergé l’idée du surgénérateur à neutrons rapides. L’idée était de produire du plutonium à des fins civiles. Pour ce faire, il était exclu d’utiliser de l’eau pour évacuer la chaleur. Celle-ci aurait ralenti les neutrons de fission. La solution a donc été de rechercher un fluide qui soit “transparent” vis à vis de ce flux de neutrons. Et ce fluide, c’était du sodium fondu, circulant à 500°C (il entre en ébullition à 900°).

Vous avez sans doute entendu parler de ce métal étrange, le zirconium. Avant que n’émerge le nucléaire, on s’en servait pour faire des bijoux ( en “zircon”). Pourquoi être allé chercher ces atomes chez les bijoutiers ? Parce qu’il est “transparent” vis-à-vis des neutrons de fission. Il les laisse passer librement. Si ça n’était pas le cas, les “gaines” contenant les “pastilles” d’oxyde d’uranium se mettraient à chauffer et fondraient, libérant leur contenu.

Mais, et ceci nous amène à évoquer la catastrophe de Fukushima, le zirconium est avide d’oxygène. A une température relativement basse, dans de la vapeur d’eau surchauffée, il “pique“ aux molécules d’eau leur oxygène, libérant leur hydrogène. C’est cette libération d’hydrogène, consécutive à l’oxydation des gaines de zirconium, qui a provoqué les explosions spectaculaire des réacteurs japonais, quand cet hydrogène est entré au contact avec l’air atmosphérique.

Doté d’un fluide caloporteur sous la forme de sodium fondu, un réacteur à fission devient un RNR, un “réacteur à neutrons rapides”, plutonigène. Il est même possible, en rendant son coeur suffisamment actif, émissif, de lui faire produire autant ou plus de matière fissile qu’il n’en consomme, sous forme de plutonium 239.

Et là naît le concept de surgénérateur à neutrons rapides, dont Superphénix fut le prototype. Dans ce cas, inutile de démarrer l’opération avec un coeur à uranium. Le chargement-type correspond à un coeur contenant 80 % d’uranium 238 et 20 % de plutonium 239. Pourquoi ce pourcentage plus élevé ? Pour que l’irradiation par les neutrons, dans une “couverture fertile” d’uranium 238 soit plus intense et la transmutation plus efficace, plus rapide. Le coeur type d’un tel surgénérateur contient alors quelque cinq tonnes de plutonium.

On a évoqué plus haut la dangerosité foncière du plutonium, liée à sa durée de vie relativement courte et à sa détestable capacité de s’intégrer de manière durable aux organismes humains, qu’il s’agisse de leur appareil respiratoire ou digestif.

Les réacteurs nucléaires français actuels, types, sont “à eau pressurisée”. Pourquoi pressurisée ? Parce que sous 150 bars l’eau reste liquide de 280° (entrée) à 320°(sortie) et peut donc emporter plus aisément la chaleur.

Mais l’examen des entrailles d’un tel réacteur reste possible, parce que l’eau a la providentielle propriété d’être transparente à la lumière. De plus, l’eau ne s’enflamme pas dans l’air. Quand la température d’un réacteur à eau a suffisamment baissé, que la pression est descendue, on peut dévisser les boulons, enlever le couvercle et aller jeter un oeil à l’intérieur, avec un simple système optique.

Avec le sodium, ces deux opérations sont impossibles. Primo le sodium est opaque. Secundo, il s’enflamme spontanément au contact de l’air. Enfin, cerise sur le gâteau, mis au contact d’eau, il explose.

Lors des assises de la commission française, de l’Office d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques, en novembre 2011, on put entendre un des intervenants soulever ce problème. Un ingénieur du CEA, Christophe Béart, lui répond : “Nous travaillons sur cette question”. L’homme évoque alors une imagerie par ultrasons, mais précise qu’actuellement on ne dispose pas de sources et de capteurs d’ultrasons capables de dépasser 180°. Bref, impossible de savoir ce qui se passe à l’intérieur d’un réacteur refroidi au sodium. La solution, ajoute notre expert, est de tout prévoir de façon qu’on n’ait pas à se poser ces questions. Vous entendrez alors les mots de “modularité, de détectabilité, de réparabilité…. “

Il existe un certain nombre de surgénérateurs dans le monde, dont un au Japon, à Monju. Comme il est impossible d’ouvrir le couvercle d’un générateur fonctionnant au sodium, il faut mettre en oeuvre des techniques complètement folles pour aller manipuler ses intérieurs, à l’aveuglette. Le système de base, assurant le déchargement-rechargement du coeur s’appelle un “barillet”.

Le sodium, un alcalin, n’est pas chimiquement neutre. Les barillets sont donc des sources de disfonctionnements. Le réacteur Japonais de Monju a connu une fuite de 640 kilos de sodium, suite à la rupture de la gaine d’un capteur, liée au vibrations occasionnées par la circulation du sodium dans la cuve.

Au milieu des années soixante-dix, des gens étaient assez nombreux pour pouvoir se mobiliser massivement contre l’émergence de cette technologie suicidaire. Superphénix connut des pannes nombreuses. Citons quelques anecdotes. Le bâtiment contenant pompes, échangeurs, alternateurs avait été dessiné à Paris, où les chutes de neige sont peu importantes. Mais Superphénix était implanté dans le département de l’Isère, dans les Alpes (à proximité de la ville de Genève, de l’Italie). Le 8 décembre 1990, il tomba 80 cm de neige sur ce toit, qui s’effondra. Heureusement, ce jour-là, le réacteur était à l’arrêt.

Je tiens d’un ingénieur allemand d’autres anecdotes, moins connues. Ce réacteur était le fruit d’une collaboration franco-italo-allemande. Les Italiens avaient à charge de construire un pont roulant, pour les manipulations. Quand celui-ci fut mis en place et chargé, il … s’effondra. Quant aux Français, ils avaient prévu d’installer une piscine, d’un volume conséquent, pour entreposer des éléments du coeur, après extraction et lavage. Comme une étude du sol n’avait pas été faite en rapport avec ce projet, le poids de la piscine fit s’enfoncer le sol et le réacteur acquit un dévers de plusieurs centimètres, ce qui n’était pas sans soulever des problèmes, s’agissant de la circulation du sodium par convexion, dans la cuve (la chaleur est extraite à l’aide de tubulures contenant elles aussi du sodium, et celle-ci est emmenée vers un second échangeur et transférée à de l’eau).

Schéma_réacteur_neutrons_rapides_caloporteur_sodium

Réacteur à neutrons rapides, refroidi au sodium

Je pense que vous avez maintenant une idée schématique suffisante de ce que peut être un surgénérateur à neutrons rapides. Voici maintenant en quoi cette machine, sortie tout droit de l’enfer, est la pièce maîtresse du dispositif français concernant “l’avenir du nucléaire”.

La France possède à ce jour un peu plus de 200 cent tonnes de plutonium “civil” (le tonnage de plutonium militaire est couvert par le secret défense). Celui-ci est stocké dans un nombre incalculable de piscines, un peu partout en France mais essentiellement à la Hague, dans le Cotentin. Là se situe “l’usine de retraitement”, qui est en fait un centre de récupération du plutonium. Le but visé (rappelé lors de cette séances de novembre 2011 à l’Assemblée Nationale) est d’atteindre les 1000 tonnes. Avec un chargement type de 15 tonnes, il serait alors possible de mettre en batterie 65 réacteurs-surgénérateurs qui consommeraient … de l’uranium 238, actuellement stocké comme déchet.

D’où le mot “ Phénix “. Vous savez que cet oiseau mythique “renaissait de ses cendres”. En déployant un tel parc de surgénérateurs à neutrons rapides, la France, qui possède un stock de 200.000 tonnes d’uranium 238, issu de l’enrichissement du minerai, extrait du Limousin, puis acheté en Afrique, deviendrait ainsi indépendante énergétiquement pour les … 5000 ans à venir.

L’idée tient toujours. Tous ses avantages ont été décrits lors de cette session à l’Assemblée Nationale. Il serait hautement souhaitable que les citoyens Français, et ceux de pays voisins, connaissent la teneur de ces échanges, pour savoir à quelle sauce ils seront nucléarisés, irradiés, quel héritage mortifère nos nucléopathes envisagent de laisser aux générations à venir.

Quel est le fer de lance de cette opération ?

C’est le surgénérateur à neutrons rapides ASTRID, 600 MW, fonctionnant au sodium :

vueartisteastrid

Une remarque concernant cette famille des futurs générateurs, qui ne saute pas aux yeux de prime abord. Ceux-ci sont conçus pour offrir une moindre vulnérabilité, vis-à-vis des attaques de terroristes ou d’opérations guerrières. Leurs structures se situeront donc en dessous du niveau du sol.

Astrid est conçu comme un démonstrateur. Je vais maintenant citer des chiffres émanant de cette docte assemblée, dont les membres dépassaient le plus souvent les soixante ans (67 pour Christian Bataille, 61 pour Bruno Sido ).

Le projet final, c’est le déploiement des surgénérateurs, qui débuterait en 2060 pour s’achever en 2100 (non, vous ne rêvez pas !).

L’EPR (European Pressurized Reactor, réacteur à eau pressurisée ) aurait pour fonction d’assurer la transition. Alors que les surgénérateurs à sodium sont rebaptisés “réacteurs de IV° génération”, les EPR constituraient la III° et les actuels REP (réacteurs à eau pressurisée) la seconde.

Quelle différence entre un EPR et un REP ?

Cela fait déjà des années que les Français ont commencé à utiliser le plutonium récupéré dans les opérations de retraitement menées dans leur usine de la Hague comme combustible, en produisant des mélanges contenant 93 % d’uranium 238 , et 7% de plutonium. La France exporte ce combustible, en particulier au Japon.

L’EPR est un réacteur refroidi à l’eau (qui donc ralentit les neutrons), mais il est conçu pour fonctionner avec 100 % de MOX (MOX pour mixed oxydes, c’est à dire un mélange d’oxydes d’uranium 238 et de plutonium 239).

EPR

Les actuels réacteurs à eau pressurisée (ou à eau bouillante, comme ceux des Japonais et des Américains) ne peuvent fonctionner avec 100 % de combustible MOX. En France, comme au Japon, la moitié des réacteurs fonctionnent avec un chargement du coeur comprenant par moitié du combustible uranium, et par moitié du MOX, donc du combustible au plutonium.

Pour qui sait voir, lire et entendre, l’EPR n’est là que pour assurer la transition vers ce déploiement des surgénérateurs au sodium, rebaptisés “réacteurs de IVème génération” et dont ASTRID est le prototype, des réacteurs où le pourcentage de plutonium sera monté à 20%.

Dites-vous bien une chose : Je ne suis pas sûr que des gens comme François Hollande, ou Geneviève Fioraso, sa ministre de la recherche et des universités sauraient expliquer au contribuable ce que je viens de décrire ici. Mais, quand on est élu, on signe quotidiennement tant de choses, sans même savoir ce que cela implique !

Le contenu des débats et les conclusions publiées par l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technique est téléchargeable sur le site de l’Assemblée Nationale à cette adresse :

http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-oecst/rapport-final-surete-nucleaire-20111215.pdf

. Vous y trouverez cette courbe, qualifiée de “trajectoire raisonnée” en matière de nucléaire. Elle parle d’elle-même. Ainsi cette vingtaine “d’experts”, retraités ou à peu d’années de la retraite, ont tracé le futur des générations à venir. Aucun d’entre eux ne sera, statistiquement parlant, encore vivant quand commencera le déploiement des “générateurs de génération IV”, en … 2060.

Trajec

Notons au passage que cette courbe “raisonnée” se fonde sur l’idée que notre physique n’aura pas changé d’un atome dans les 87 années qui viendront.

Parmi ces exposés, le plus remarquable est celui d’un certain Jean Claude Duplessis, membre de l’Académie des Sciences, 72 ans, président de la Commission Nationale d’Evaluation (CNE), qui produisit une courbe chiffrant la quantité de plutonium qui aura pu être “mise de côté” en 2150 selon les différentes formules retenues : REB, EPR ou RNR.

150 ans

Voilà donc un septuagénaire qui spécule sur les différentes formules du nucléaire français pour les 137 années à venir.

Ce serait drôle si ça n’était pas si tragique.

2 Commentaires

Classé dans en français, Problématiques énergétiques

2 réponses à “Astrid, le surgénérateur qui renaît de ses cendres

  1. catherine merccion

    100000
    merci à JP petit pour son inlassable combat contre l’aveuglement ,il se sent bien seul mais que pouvons-nous faire ?
    cath

    • schuller

      Nous pouvons signer des pétitions, et surtout attaquer là où ça fait mal, c’est à dire au porte monnaie, en diminuant drastiquement notre consommation électrique. Un congélateur est un gouffre à énergie, le prix de revient de ce qui y est stocké augmente chaque jour, un frigo en hiver dans un lieu qui a un petit espace extérieur pareil une aberration, les appareils en veille, et ainsi de suite. Ce soi-disant confort est une complicité qui ôte beaucoup de crédibilité à nos voix.

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