Electronucléaire: le poids des lobbys
Philippe Bach
Editorial du journal Le Courrier, du 28 août 2014.
Du bon usage des annonces discrètes. La commission de l’environnement du Conseil national a voté mardi soir sur la loi sur l’énergie nucléaire que les autorités fédérales entendent modifier. Ceci pour permettre une sortie à terme de la filière électronucléaire.
Mais c’est bien à une opération consistant à vider cette réforme législative – pourtant déjà bien timide car trop étalée dans le temps – de son sens que les parlementaires se sont livrés. Cette danse du ventre visant à faire passer un blanc-seing au lobby électronucléaire pour un renforcement de la législation suisse en la matière est une catastrophe pour la population, l’environnement, le devenir économique de la Suisse et le bon fonctionnement de nos institutions.
Une majorité de parlementaires a donc cru bon de prendre une hypothèque sur la sécurité des Suisses (et des pays voisins). Plusieurs centrales helvétiques sont en bout de course. Beznau, qui soufflera sa quarante-cinquième bougie lundi, a même le douteux privilège d’être le plus vieux réacteur du monde encore en fonction. Or, dans les faits, les parlementaires proposent purement et simplement de leur accorder des durées de vie illimitées.
Ceci alors que ces installations souffrent de problèmes maintes fois dénoncés, à commencer par les microfissures sur le dôme de confinement de la centrale bernoise. Et même à Leibstadt, il a fallu six ans pour que l’autorité de surveillance se rende compte que l’enceinte de confinement avait été percée et n’était donc plus étanche – afin d’y fixer… des extincteurs ! Plus on attend, plus le risque d’une catastrophe augmente. Les coûts générés par celle de Fukushima sont d’ores et déjà évalués à près de 100 milliards de francs. (1)
La volonté de faire tourner le plus longtemps possible ces centrales nucléaires helvétiques vise évidemment à contenter les lobbys économiques toujours soucieux de pouvoir compter sur un approvisionnement électrique. Mais en refusant de tourner la page, la droite inféodée au lobby électronucléaire bloque en fait l’émergence de modes de production alternatifs. Elle hypothèque les conditions cadres de la Suisse de demain.
Enfin, on assiste une nouvelle fois à un double discours. Les partis bourgeois, qui font la pluie et le beau temps en Suisse, récusent la bouche en cœur le qualificatif de nucléocrate. Mais, au pied du mur, la vraie nature de ces cuistres affouragés par la puissante industrie de l’atome se révèle. C’est peut-être l’aspect le moins choquant ou en tous les cas le moins étonnant de ce triste spectacle.
1. Dépêche de l’AFP du mercredi 27 août.