par Erwin Weiss
Source : Contratom, No 145,
Genève, décembre 2021
Notre conseiller fédéral, M. Parmelin (*) a annoncé une pénurie d’électricité vers 2025. Ce n’est pas la première fois qu’on annonce des pénuries d’électricité en Suisse, mais cette fois, cela nous arrange un peu (même si je doute de la réalité de cette prédiction). Nous espérons que cette annonce va enfin pousser la politique et la finance à investir dans les énergies renouvelables.
Pourquoi le Conseil fédéral anticipe-t-il un risque de pénurie ?
Le peuple suisse a décidé de sortir du nucléaire, mais les investissements dans les énergies renouvelables restent très faibles. Actuellement on construit des nouvelles maisons avec seulement quelques panneaux photovoltaïques sur le toit (le minimum prescrit par la loi) plutôt que d’équiper le toit entier. On pourrait tripler ou quadrupler l’équipement à moindre frais. Il faudrait, malheureusement, obliger les gens à faire le maximum par une loi, parce que la volonté individuelle ne suffit pas (liberté??!).
Pour évaluer le risque de pénurie, il faut comprendre un peu le fonctionnement de l’énergie électrique et de son réseau. C’est une énergie de transformation qui n’existe pas dans la nature et qui est difficile à stocker (batteries, pompage-turbinage, etc). De ce fait, il faut toujours produire la même quantité d’électricité que celle qui est consommée. Si vous allumez une lampe, il faut quelque part une machine qui produise l’équivalence de cette consommation; dès que vous éteignez la lampe, il faut réduire la production d’une machine.
La production d’électricité en Suisse se répartit actuellement en gros de la façon suivante: 60 % hydraulique, 30 % nucléaire et le reste photovoltaïque, éoliennes, biogaz, couplage chaleur-force et usines d’incinération. Une partie de cette production est quasiment non-modulable comme les éoliennes, le photovoltaïque, les turbines hydrauliques au fil de l’eau (installation sur des rivières) et les centrales nucléaires (une centrale nucléaire a besoin de plusieurs heures pour démarrer) .
La stratégie énergétique 2050, acceptée par le peuple en 2017, avait prévu de produire plus de 4 TWh (térawattheures) par le photovoltaïque en 2020, mais nous ne sommes même pas arrivé à la moitié ! Pour 2050 nous devrions arriver à 34 TWh, c’est-à-dire 17 fois la production de 2020. Le bilan est encore moins satisfaisant pour les éoliennes et pourtant on a besoin de celles-ci parce qu’elles produisent surtout en hiver, là où l’énergie électrique manque.
Le réseau électrique, le nœud du problème.
Une bonne stabilité du réseau est obtenue par des installations à réaction rapide comme des turbines hydroélectriques, et par une assez grande quantité d’énergie de réserve. Le réseau doit avoir une capacité de production plus grande que la consommation, mais on compte sur le fait que seulement une partie de la consommation est demandée en même temps.
Au niveau du réseau on différencie trois catégories de réglage :
- primaire = intervention immédiate dès les premières 30 secondes
- secondaire = intervention en 5 minutes
- tertiaire = disponible en 15 minutes
Ces trois catégories sont mises sur le marché par les producteurs, et une bourse d’énergie électrique gère ce produit selon les règles du marché libre. Les entreprises de distribution (par exemple SIG) achètent des quantités selon leurs besoins (consommation) au prix minima et, depuis quelques années, si possible certifiées. Cette bourse est internationale, mais doit respecter quelques règles. Ces règles ou accords posent actuellement des problèmes parce qu’ils définissent les entraides entre les différents réseaux et pays. La Suisse échange énormément d’énergie électrique avec ses voisins, environ 50 % de la production journalière, mais la différence entre import et export est seulement de 20 % (amplitude annuelle d’environ +/-10%). Même en hiver nous exportons de l’électricité, bien que le bilan hivernal soit négatif. Nous avons les connaissances nécessaires pour assurer un réseau stable, mais nous n’avons, jusqu’à présent, regardé que le court terme et misé sur les profits financiers de l’échange avec nos voisins (gain de 293 millions de CHF en 2020 avec l’import/export de l’énergie électrique). La stabilité de notre réseau repose donc sur une stratégie économique (profit à court terme), alors qu’elle aurait besoin d’un engagement politique pour soutenir les énergies vertes.
Il faut différencier au niveau du réseau électrique la pénurie et le black-out. Un black-out peut arriver à n’importe quel moment, mais, en Suisse, seulement localement (incendie d’un transformateur, avarie d’une ligne électrique, etc) et pour une courte durée. Le black-out du réseau des CFF le 22 juin 2005 quand tous les trains en Suisse étaient arrêtés pendant 3 à 4 heures était une exception. Une pénurie arrive au moment où la consommation est plus grande que la production alors que les réserves sont déjà utilisées. Cela finit par un black-out.
Pour faire face à ce problème, il y a quatre possibilités :
- augmenter les réserves de production en investissant dans les énergies renouvelables
- réduire ou planifier la consommation des grands consommateurs à court terme
- économiser globalement de l’énergie électrique
- optimiser autrement l’utilisation des réservoirs de nos grands barrages en priorisant l’énergie à la place de l’économie (profit financier), éventuellement par une subvention de la confédération.
Il faut oublier l’aide de nos voisins parce qu’ils ont les mêmes problèmes.
Que faire à l’avenir pour éviter les difficultés ?
A mon avis, il faut commencer par économiser l’électricité, maintenant, tout de suite.(C’est aussi ce que préconise Christian Brunier, directeur général des SIG, dans une récente interview à la Tribune de Genève (18/11/2021) : il assure qu’il est possible d’économiser 30% de la consommation électrique et ainsi éviter le black-out tout en restant sur le modèle d’énergie dénucléarisée en vigueur dans le canton de Genève).
Pour ce faire, chacun doit y mettre du sien.
Pour avoir une idée de la possibilité d’économie d’électricité personnelle, je vous propose de prendre votre facture d’électricité et de relever votre consommation annuelle en kWh. Pour information, la consommation moyenne d’un ménage de 4 personnes en Suisse est d’environ 5000 kWh/an (3550 kWh/an pour un ménage à 2 personnes), mais cette consommation dépend de l’équipement de base du ménage (chauffage, cuisinière, etc). Pour réduire votre consommation, il faut vous donner un but, par exemple de réduire de 2 % la consommation annuelle. Vous commencerez par faire un inventaire de vos appareils électriques. Beaucoup d’appareils consomment de l’électricité à l’arrêt (stand-by). Ces appareils sont à brancher si possible sur une multiprise avec interrupteur et il ne faut les enclencher qu’en cas de besoin (par exemple un ordinateur ou un téléviseur est utilisé 2 à 4 heures par jour et le reste du temps il est en stand-by ; avec une consommation de seulement 10 Watt en stand-by, cela fait 73 kWh/a = 1.4 % de la consommation moyenne). En plus vous pouvez éliminer certains appareils inutiles en opérant manuellement. Les grands consommateurs dans un ménage sont la cuisinière électrique (le gaz est sur un autre compte), les machines à laver, le lave-vaisselle, le chauffage électrique (aussi les pompes à chaleur) et la somme des multitudes d’écrans. Les téléphones portables consomment peu en direct (il y a plus de 10 millions de téléphones portables en Suisse et cela représente environ 3 % de la consommation électrique), mais ils consomment ailleurs par internet (le Web est un très grand consommateur d’électricité par le nombre d’utilisateur; la transmission des photos et surtout des petits films consomment énormément). Après il y a aussi l’efficacité des appareils, mais sur ce point il ne faut pas oublier l’énergie grise (= besoin d’énergie pour la fabrication).
Le nucléaire n’est pas une solution
Le lobby du nucléaire voudrait profiter de la peur du black-out évoquée par Guy Parmelin pour continuer à exploiter nos centrales nucléaires, toujours aussi peu sûres. Une étude, commandée par la fondation suisse pour l’énergie (SES) à la TH (haute école technique) de Brandenbourg en Allemagne, au sujet la sécurité de la centrale nucléaire de Leibstadt, montre de grandes lacunes dans la gestion de cette centrale (fin août 2021, www.energiestiftung.ch, en allemand). Elle compare les exigences de IAEA (International Atomic Energy Agency), de WENRA (Western European Nuclear Regulators Association), les règles de l’art (ou l’état des connaissances) avec les réalités de la centrale. Il en ressort que Leibstadt a énormément de problèmes et que le personnel est mal formé. L’IFSN (Inspection fédérale de sécurité nucléaire) fait quelques remarques, mais elle laisse faire (par exemple le manque de culture de sécurité traîne depuis 2016, alors qu’il revient régulièrement dans les rapports). En plus, il y a des adaptations à faire qui sont laissées de côté parce que trop coûteuses. C’est pourtant la plus jeune centrale nucléaire de la Suisse. Nous continuons d’exploiter nos vieilles centrales nucléaires avec beaucoup de risques et des coûts de production plus élevés que les énergies renouvelables.
On en revient donc toujours au même slogan…
Le nucléaire ne sauvera pas le climat! Il est trop tard pour des nouvelles centrales, il y a trop de risques avec nos vieilles centrales, et le problème des déchets n’est pas résolu.
(*) Le Conseil fédéral composé de sept membres élus par les deux chambres du Parlement suisse est tout à la fois le Gouvernement et le Chef d’Etat de la Confédération suisse. Et M. Parmelin a été élu Président du Conseil fédéral pour l’année 2021.
Ce texte intéressant rejoint nos préoccupations en France, on retrouve les mêmes difficultés, sauf que Macron et la classe politique dominante s’entêtent dans cette technologie lourde, dangereuse et finalement peu efficace.